Le résultat des élections du Nigeria montre la volonté de la population d’un changement. Par son histoire et son programme politique, le nouvel élu a peu de chance d’y répondre favorablement.
Le soleil de plomb, de longues heures d’attente, les menaces de mort de Boko Haram n’ont pas entamé la détermination des Nigérians à voter. Si le processus électoral a connu de nombreux incidents techniques – des tentatives de fraudes, notamment du parti dirigeant le Peoples Democratic Party (PDP) – il a été considéré par tous comme sincère et fiable.
Le résultat est sans appel. Le candidat de l’opposition a recueilli près de 54 % des votes, soit une avance de plus de 2 millions de voix sur son rival le président sortant, le mal nommé Goodluck Jonathan.
Cette situation est historique à double titre. Elle inaugure une alternance démocratique en mettant fin au pouvoir du PDP depuis 1999, et illustre la quasi absence des violences hélas habituelles des campagnes électorales précédentes.
Des royalties sur l’essence et le gasoil
Indéniablement le sens de cette élection est le rejet du bilan de Goodluck. En effet, il est catastrophique notamment pour les classes populaires. Au niveau économique d’abord puisque les dix années de progression économique, à hauteur de plus de 6 %, n’ont nullement profité à la grande majorité de la population, mais à une petite clique de corrompus qui n’a eu de cesse de détourner à son profit l’argent de la rente pétrolière. Le Nigeria peut se targuer d’être le pays africain où il y a le plus de millionnaires. Il peut se targuer aussi d’avoir été un bon élève du FMI en acceptant les politiques et les oukases de l’organisation de Bretton Wood, surtout quand il s’agit de s’attaquer au niveau de vie de la population. C’est ainsi que le gouvernement avait tenté de supprimer les subventions à l’énergie arguant que cela coûtait trop cher au budget de la nation. En effet, le Nigeria, un des plus grand pays producteur de pétrole, n’a quasiment aucune raffinerie et doit importer les produits raffinés. Une situation qui défie toute logique mais s’explique aisément : la clique au pouvoir touchait des royalties sur l’essence et le gazole importés et organisait des pénuries permettant d’augmenter les prix.
40 % du budget national va à l’armée
Quant à la situation sécuritaire, elle a été aussi des plus préoccupantes pour le pays bien entendu mais aussi pour la région. Le recul de Boko Haram et la reconquête des villes prises par ses nervis n’ont été menés que par les troupes étrangères, notamment tchadiennes et auxiliairement nigériennes. Ainsi l’armée nigériane qui dispose de 40 % du budget national, s’est trouvée incapable de contenir les avancées des islamistes. Déby le président du Tchad s’est d’ailleurs étonné publiquement de l’incapacité de l’armée nigériane à combattre les militants de Boko Haram.
De nouveau la corruption est dénoncée. Les officiers supérieurs sont bien trop occupés à faire fructifier leur business provenant de l’argent détourné de l’armée que de mener la guerre contre les djihadistes. De plus l’armée n’a fait, à maintes occasions, qu’ajouter de la violence en terrorisant les habitants déjà victimes de la secte islamiste. Amnesty International estime que l’armée a fait autant de victimes que les djihadistes.
La population s’est légitimement scandalisée lorsque Goodluck a exprimé son indignation contre l’attentat de Charlie Hebdo alors qu’il est resté silencieux pour l’attaque la plus meurtrière menée par les milices de Shekau dans la région de Baga qui a fait des centaines de victimes, certains comme Amnesty avançant le chiffre de 2000.
Buhari : une désillusion qui risque d’être rapide et profonde
Paradoxalement, c’est le passé fort critiquable de Muhammadu Buhari qui a joué en sa faveur. Issu d’une famille nombreuse, il s’est engagé dans l’armée à l’âge de 19 ans et en a gravi tous les échelons. Il a bénéficié d’une formation en Grande-Bretagne. Mais son ascension est avant tout liée à sa participation au premier coup d’état en 1966 mené par Murtala Muhammed. Il s’empara du pouvoir en décembre 1983 à la suite d’un second coup d’état et mit fin à la république en instaurant une dictature.
Il réprima ainsi férocement le mouvement musulman intégriste de Maitatsine présenté comme le précurseur de Boko Haram, mais aussi les organisations de masse et démocratiques, sous le couvert de la loi « War against indiscipline ». Avec le « Decree 4 », il étouffa la presse, le « Decree 2 » lui permit d’enfermer sans jugement les personnes considérées comme des ennemis de l’état. C’est d’ailleurs ce qui arriva à Fela Kuti, le génial inventeur de la musique afro beat, et activiste des droits humains. Par contre, il ferma les yeux sur les fuites de capitaux de dignitaires.
Porté triomphalement à la tête de l’All Progressives Congress (APC), une coalition des trois principaux partis de l’opposition et d’une fraction du PDP, Buhari a joué largement de sa stature d’homme autoritaire capable de restaurer l’ordre. Il a mené sa campagne autour de trois thèmes, la lutte contre la corruption, l’éradication de Boko Haram et la résorption du chômage, fléau endémique dans ce pays.
Si dans le Nord, très majoritairement musulman, dont Buhari est originaire, il a bénéficié d’un fort soutien populaire notamment chez les pauvres et les talakawas, les paysans sans terres, il a réussi à se faire accepter dans le Sud majoritairement chrétien.
La désillusion risque d’être rapide et profonde. En effet le mal profond dont souffre le Nigeria est avant tout une question de répartition des richesses, la misère qui sévit notamment dans le Nord étant un formidable terreau pour les mouvements islamistes. Si aujourd’hui Boko Haram est en train de perdre ses places fortes, c’est certes parce que l’armée tchadienne lui porte des coups décisifs mais c’est aussi, et on a envie de dire surtout, parce que cette organisation perd son assise de masse dans sa folie meurtrière, changeant progressivement de caractère en se transformant en une organisation violente et nihiliste à l’image de l’Armée du Seigneur (LRA) de Kony.
Le Nord du Nigeria a connu depuis des décennies des sectes islamistes plus ou moins violentes, plus ou moins rétrogrades. La répression et l’option militaire ne règlent rien si elles ne sont pas accompagnées d’un changement économique qui permette à la population de vivre décemment.
Il est hautement improbable que l’APC s’oriente vers ce type de changement. Sur 36 États, 12 n’ont pas payé les salaires de leurs fonctionnaires, les impayés datant parfois de cinq mois. Et parmi ces États, certains sont gérés par des gouverneurs APC. Une des éminences grises de cette organisation n’est autre que le maire de Lagos, la capitale économique du pays, qui est considéré comme le Nigérian le plus riche.
L’alternative se trouve du côté des forces progressistes. Si, au niveau politique, les organisations ont des difficultés à émerger sur la scène politique, la force des organisations syndicales reste un atout majeur. Elles ont joué un rôle déterminant dans la chute de la dictature militaire et l’avènement de la démocratie.
Le résultat des élections peut être considéré comme un point positif en permettant l’expulsion du pouvoir d’une clique corrompue qui a laissé faire les nervis de Boko Haram. C’est donc une nouvelle situation politique qui s’ouvre et qui pourrait être propice à l’émergence d’une force politique progressiste.
Paul Martial