Propos recueillis par Cathy Billard
Pour Nadir Djermoune, dirigeant du Parti socialiste des travailleurs (PST), le modèle du nationalisme algérien a montré ses limites et il devient urgent, face à la crise, de développer une alternative politique et sociale.
Cinquante ans après l’indépendance, que reste-t-il du sentiment national dans la vie politique ?
C’est dans un contexte d’une double crise du capitalisme mondial que l’Algérie célèbre le 50e anniversaire de son indépendance. A la crise économique des pays capitalistes avancés et dominants, s’ajoute la crise politique des pays du Sud, notamment ceux de la région arabe. Ces conditions créent une situation révolutionnaire. Elles sonnent comme la fin d’un cycle.
Cette situation met à nu les limites historiques des nationalismes qui ont conduit les combats pour l’indépendance, qu’ils soient arabistes laïcisants ou arabo-islamistes. Les régimes issus des indépendances ont été incapables d’achever les tâches de développement social et économique ou encore l’émancipation politique et démocratique des peuples. Le nationalisme algérien fut l’un des plus radicaux, les conditions violentes de la colonisation en sont la matrice. Ses limites sont d’autant plus apparentes.
Ces limites et ces échecs servent aujourd’hui d’argument pour une remise en cause de la justesse de l’Indépendance, acquise au prix d’énormes sacrifices. En effet, les courants capitalistes libéraux, aux relents néocolonialistes, s’en nourrissent pour instaurer un doute et délégitimer les acteurs, les actions, les acquis et jusqu’à l’idée même de l’indépendance. C’est le sens qu’il faut donner aux campagnes culturelles et politiques de dénigrement des dirigeants nationalistes, partant des contradictions et ambitions personnelles qui ont traversé le mouvement national, ou encore à la mise en accusation permanente et déplacée de la violence du Front de libération national (FLN), en la plaçant en symétrie avec celle de l’Organisation armée secrète (OAS).
Quelles sont les contradictions économiques de l’Algérie, un des seuls États créditeurs du FMI où néanmoins les problèmes de logement et de chômage provoquent quotidiennement des soulèvements populaires ?
Ces contradictions relèvent plus des limites du nationalisme des classes possédantes, que l’on peut qualifier dans le cas de l’Algérie de bureaucratie bourgeoise, que d’une tare ou d’une erreur historique. Sur le plan social, culturel, éducatif ou infrastructurel, les acquis sont réels et tangibles.
Mais le regard des Algériens est plus tourné vers les contradictions d’aujourd’hui et leur devenir, que vers les « erreurs » des générations passées. Et sur ce plan, il y a un gâchis énorme et un décalage entre les potentialités, tant matérielles qu’humaines que recèle l’Algérie, et le niveau de développement, à la limite du dérisoire, que le pays a atteint. L’explication se situe au niveau politique, dans une gestion bureaucratique mais surtout une corruption socialisée qui fait système.
L’Algérie dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats que des pays ayant un niveau de développement similaire. Ce débat à peine effleuré au niveau politique cache mal les contradictions sociales qui traversent la société : un taux de chômage alarmant touchant essentiellement les jeunes et notamment les diplômés ; des échanges informels à hauteur de 65 % dans le secteur des produits de première nécessité ; une masse monétaire importante en circulation jouant à court terme un rôle de soupape de sécurité à un développement incertain.
Comment ces contradictions trouvent-elles une expression politique ?
Le sentiment national est malmené. La réponse se construit malheureusement sur des symboles creux, des images abstraites de faits historiques ou… l’équipe nationale de football, qui nourrissent plus le chauvinisme qu’un nationalisme progressiste. Pour la génération actuelle, les valeurs nationales sont de l’ordre de l’Histoire, elles quittent le terrain de la mémoire collective.
Mais au-delà du nationalisme et de ses limites, la situation politique se caractérise par deux facteurs contradictoires. D’un côté, nous vivons un mouvement populaire véhément, agressif et offensif sur le plan social, mais éclaté et défensif sur le plan politique. D’un autre coté, il y a les tentatives et les capacités du pouvoir à désamorcer ce mécontentement.
Si les Algériens se doivent de se réapproprier le combat qui les a libérés du joug colonial, ils se doivent surtout, devant les menaces économiques libérales internes et les relents néocoloniaux externes, de dépasser la simple commémoration d’un fait d’histoire. La réappropriation d’un combat libérateur se conjugue dans l’immédiat avec la construction d’une alternative politique démocratique et économiquement sociale et antilibérale. o