Publié le Mercredi 29 mai 2013 à 21h08.

Retour sur le mouvement noir aux USA

Par Yvan Lemaitre.

 

La diffusion en France de Free Angela And All Political Prisoners, un film documentaire de Shola Lynch, invite à un retour vers l’histoire du combat des noirs américains. Deux livres passionnants parus récemment aux éditions Syllepses lui sont également consacrés.1 

 

 

Le film raconte l’histoire d’une jeune professeure de philosophie, née en Alabama, issue d’une famille d’intellectuels afro-américains, politiquement engagée, Angela Davis, profondément marquée par son expérience du racisme, des humiliations de la ségrégation raciale. Elle sera un des symboles aux yeux du monde entier de cette formidable lutte d’émancipation, au cœur même de la citadelle impérialiste.

 

Le premier livre, Sur la question noire aux Etats-Unis, est un recueil d’articles écrits entre 1935 et 1967 par C.L.R. James (1901-1989), connu surtout pour Les Jacobins noirs. Le livre débute par un article qui dénonce les manœuvres des impérialismes français et britanniques au moment où les armées de Mussolini envahissent l’Ethiopie. Il appelle au rapprochement des « travailleurs de Grande-Bretagne, paysans et travailleurs d’Afrique » en préservant leur pleine indépendance des politiques impérialistes. Cette indépendance de classe est le fil rouge de l’ensemble des articles. Elle est développée dans les deux textes suivants, deux résolutions du Socialist Workers Party, le parti trotskyste au sein duquel C.L.R. James milite en 1939. Pour James, une telle politique est indissociable de l’idée d’autodétermination pour les Noirs américains qui s’accompagne de l’idée d’une organisation propre des Noirs et de la possibilité d’un « Etat nègre ».

 

« Le nègre docile est un mythe » écrit-il décrivant les multiples actes de rébellion qui ont jalonné l’histoire des noirs. Il souligne leur place dans la révolution française avec la révolution de Saint-Domingue, puis leur rôle prédominant dans la guerre civile américaine pour l’abolition de l’esclavage décrétée par Lincoln en 1863. Il fait l’apologie de Marcus Garvey, apôtre du « retour en Afrique » qui fut le premier à susciter un mouvement de masse noir malgré ses préjugés et développe le lien qu’il y a entre la lutte pour les droits démocratiques, le droit à l’autodétermination et la lutte pour le socialisme. Une question est au cœur des préoccupations de James : « Quelle est la relation entre ce mouvement et le rôle de premier plan du prolétariat ? ». Pourquoi et comment le lien n’a-t-il pas pu se construire pleinement ?

 

 

Libération noire et mouvement ouvrier

 

Le deuxième livre, Black and Red, Les mouvements noirs et la gauche américaine, écrit par notre camarade Ahmed Shawki, éditeur d’International Socialist Review, est construit autour de cette même interrogation, « la relation entre le socialisme et la lutte pour la libération noire ». Il est l’histoire d’un échec fécond cependant puisque participant des bouleversements réalisés par les luttes internationales des peuples opprimés. Là est le point de départ du livre, « l’impact mondial » du mouvement des années 1960 qu’Ahmed a connu alors qu’il vivait en Égypte (il arriva aux USA en 1976). Il illustre et développe l’idée formulée par James : « Non seulement les noirs américains constituent une avant-garde pour le tiers-monde, mais également pour les États-Unis dont ils sont la composante la plus avancée politiquement ». Il s’attache aussi à analyser le racisme d’abord « comme justification idéologique de l’esclavage », puis comme produit direct du développement impérialiste, justification de l’exploitation et de l’oppression des peuples. Ce racisme gangrène la conscience d’une partie du prolétariat non seulement de par la volonté des classes dominantes de diviser les classes exploitées, mais aussi comme conséquence de la concurrence dans laquelle le capital place ces dernières. 

 

Il s’attache à dénoncer une compréhension formaliste, mécanique du marxisme qui servit de justification à la passivité d’une partie de la gauche qui, au nom de l’unité de la classe ouvrière, eut beaucoup de mal à intégrer concrètement et pratiquement la spécificité de la lutte des Noirs. La dernière partie du livre est consacrée à un riche tableau critique du mouvement qui explosa après la Deuxième Guerre mondiale et conquit les droits civiques. Ceux qui s’étaient battus pour « la démocratie » sur les champs de bataille du monde entier pendant la guerre exigeaient ce même droit pour eux-mêmes après avoir acquis un rôle déterminant dans la production. Le livre de Shawki vient illustrer les mots de James : « en luttant pour leurs droits démocratiques, les Noirs américains font un apport fondamental à la lutte pour le socialisme aux États Unis ». Une histoire indispensable à étudier qui invite à un « réexamen de la tradition marxiste révolutionnaire aux États-Unis », conclut Shawki. Beaucoup plus largement, peut-on ajouter... 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 C.L.R. James, Sur la question noire aux Etats-Unis, 1935-1967, Editions Syllepse, 2012, 252 pages, 15 euros.

 

Ahmed Shawki, Black and Red, Les mouvements noirs et la gauche américaine (1850-2010), Editions Syllepse, 2012, 260 pages, 15 euros.