Publié le Samedi 7 décembre 2019 à 08h35.

Venezuela : entre les menaces impérialistes et l’autoritarisme de Maduro

Pedro Huarcaya, camarade du NPA, a vécu plusieurs années au Venezuela et reste en contact avec des marxistes révolutionnaires vénézuéliens. Il nous livre son analyse de la situation politique, économique et sociale au Venezuela. 

Peux-tu revenir rapidement sur la situation politique au Venezuela, et notamment le rôle de Juan Guaidó  ?

La situation était particulièrement tendue politiquement au premier trimestre 2019 suite à l’auto-proclamation de Guaidó (alors président de l’Assemblée nationale) comme président de la République le 24 janvier. Il a été reconnu par une cinquantaine d’États dont les États-Unis, le Brésil de Bolsonaro, la plupart des États de l’UE et notamment la France. Cette proclamation est illégale du point de vue de la constitution vénézuélienne et illégitime puisqu’il n’a jamais été élu – ce qui ne veut pas dire que la présidence de Maduro soit de son côté légal et légitime. La stratégie de Guaidó est à l’image de la stratégie de l’opposition vénézuélienne depuis qu’elle lutte contre Chavez. Elle a pour base, depuis 20 ans, les classes possédantes et la petite bourgeoisie réactionnaire, et elle tente désespérément de rallier l’armée à sa cause. Cette stratégie a échoué. Guaidó a essayé de faire rentrer une aide humanitaire de force le 23 février, afin diviser les militaires, mais sans succès. Et, le 30 avril, il a appelé en vain à un soulèvement militaire. L’opposition menée par Guaidó est donc dans l’expectative, car elle est dans une impasse politique. En focalisant sa stratégie sur l’armée et en défendant les sanctions des États-Unis, elle a hypothéqué toutes ses chances de gagner une majorité des vénézuélienNEs à sa cause. 

 

Est-ce que selon toi la situation se stabilise ou est-ce que le blocus étatsunien conduit à un pourrissement  ? 

La situation pour les vénézuélienNEs est de pire en pire. Il y a tout d’abord une crise économique dont la responsabilité économique incombe en premier lieu à Maduro et au chavisme en général : rappelons la dépendance au pétrole, et l’effondrement de la monnaie dû en particulier aux subventions aux entreprises et à l’essor d’une nouvelle bourgeoisie liée au régime (la bourgeoisie bolivarienne ou « bolibourgeoisie »). Depuis 2017, des sanctions étatsuniennes empêchent le Venezuela d’emprunter auprès des États-Unis et des sociétés américaines, ce qui rend la dette encore plus chère pour le Venezuela. Depuis le début du mois de janvier, les États-Unis ont imposé un embargo sur le Venezuela. Celui-ci a des effets particulièrement importants, puisque les États-Unis restaient, malgré les discours anti-impérialistes de Chavez et Maduro, le premier client et le premier fournisseur du pays. Les exportations de pétrole vers les États-Unis sont ainsi passées à zéro, sachant que c’était l’une des rares sources de liquidités permettant d’acheter de la nourriture et des médicaments. Par ailleurs, l’administration Trump a saisi les biens que le Venezuela possédait aux États-Unis. Notamment ceux d’une entreprise qui s’appelle Citgo, qui possède des stations-services et des raffineries aux États-Unis, qui ont donc été saisies et mises sous le contrôle de Guaidó. Deux économistes – Mark Weisbrot et Jeffrey Sachs – estiment le bilan de cet embargo et de ces sanctions à 40 000 morts du fait de manques de nourriture et de médicaments. Même si ce chiffre est difficile à vérifier, il est certain que l’embargo est criminel dans ses conséquences, et accroît fortement les difficultés de la population. 

 

Qu’en est-il des classes populaires, et de leur rapport à Maduro et à Guaidó ? 

Les conditions économiques sont désastreuses : il y a 1 million de % d’inflation, le pays est en récession depuis 6 ans. Le salaire minimum représente 1 ou 2 dollars et permet de manger pendant quelques jours dans le mois. Les gens survivent grâce à l’argent envoyé depuis des proches à l’étranger (les remesas), en vendant des produits (venant des paniers de biens distribués par le gouvernement notamment) en Colombie ou au marché noir. Le mécontentement et la volonté de sanctionner le gouvernement sont évidents.

Ce dernier continue à faire des programmes sociaux appelés CLAP (Comités locaux d'approvisionnement et de production) qui maintiennent en vie les classes populaires. Dans le cadre de ces programmes, le gouvernement attribue d’une manière clientéliste les paniers alimentaires, qu’il peut retirer si l’on s’oppose à lui. Paradoxalement, les sanctions américaines rendent ce minimum encore plus indispensable, et renforcent à cet égard la dépendance des classes populaires envers le gouvernement. Il existe ainsi une certaine base sociale, réduite et qui n’est plus majoritaire dans le pays, mais qui constitue un noyau dur soutenant le gouvernement. 

Non seulement les conditions de vie sous Maduro sont insupportables, mais sa manière de gouverner l’est aussi. A titre d’exemple, on peut citer le cas d’un dirigeant syndical, Rubén González, condamné à plus de 5 ans de prison pour des faits liés à son militantisme, ou celui du mineur Rodney Álvarez, emprisonné sans procès depuis 10 ans. 

Les classes populaires sont donc orphelines de perspectives politiques, puisque l’opposition de Guaidó n’est évidemment pas une solution. En janvier, on a certes assisté à un fait nouveau : il y a eu des soulèvements dans certains quartiers populaires, brutalement réprimés par Maduro.  Il y a sans doute eu un réel élan autour de Guaidó autour du motif « tout sauf Maduro », en raison des difficultés extrêmes. Une partie de la population a pu être trompée par le discours de Guaidó, qui était pourtant déjà clairement très libéral. Mais le fait qu’il ait appelé à une insubordination de l’armée et non à une mobilisation des classes populaires a signé son échec. Les illusions qu’il a pu susciter en janvier sont complètement dissipées. Et son camp se divise. Alors qu’une partie en appelle à l’intervention militaire américaine, une autre a accepté des négociations en juillet avec Maduro pour obtenir quelques bribes de pouvoir. Guaidó a essayé de remobiliser ses troupes autour du coup d’État raciste et classiste en Bolivie, mais à nouveau ça a été un échec. Il reste prisonnier de son ancrage dans les classes possédantes et de sa dépendance envers les États-Unis, et sa seule réussite a été d’obtenir des soutiens d’États étrangers. 

 

Est-ce qu’il existe des forces sociales alternatives à Maduro et à Guaidó, au sein du mouvement ouvrier par exemple  ? 

Il y a chaque année des milliers de luttes et de manifs au Venezuela, mais éparpillées et sans articulation politique. Des grèves de travailleurs, d’infirmières, de profs, etc. car le pouvoir d’achat est vidé de toute substance. Il y a également des luttes pour le droit à l’électricité ou à la santé, car les services publics sont délabrés. 

D’autres mobilisations existent, notamment contre le décret 2792 qui autorise des dérogations au droit du travail pour maintenir l’emploi. Ou encore contre le projet « d’Arc Minier de l’Orénoque », qui devait ouvrir aux multinationales minières près de 10% du territoire du pays. Bien qu’il ait plutôt abouti à des mines artisanales, il implique également un non-respect du droit du travail, du droit fiscal, du droit des communautés indigènes, du droit de l’environnement etc. 

Ces mobilisations s’affrontent au gouvernement de Maduro mais aussi à ce que veut l’opposition, qui partage évidemment le projet d‘exploitation des travailleurs et de l’environnement. 

Différents courants trotskystes se sont organisés dans une coordination, « Trabajadores en lucha », pour tenter de proposer une voie alternative sur une base de classe, mais leur situation est difficile.  

Les révolutionnaires qui avaient rejoint le PSUV (le parti chaviste) soit l’ont quitté, soit en ont été expulsés. L’organisation « Luchas » (Ligue unitaire chaviste socialiste), la plus modérée envers Maduro, continue à appeler à voter pour Maduro aux élections, avec des arguments anti-impérialistes, mais elle s’oppose aussi aux différents projets et mesures du gouvernement dont on a parlé. D’une manière générale, précisons que même les révolutionnaires les plus radicalement anti-Maduro sont aussi fermement opposés à l’impérialisme. 

 

Peut-on comparer la situation du Venezuela à celle de la Bolivie et à d’autres pays d’Amérique latine ? 

Il y a un élément général dans presque toute l’Amérique latine : l’exploitation à outrance des matières première, et la dépendance des différents États à ces dernières. Mais cette crise générale liée à l’effondrement des prix prend des formes très différentes. Le mouvement chilien affronte un régime de droite néo-libéral. Cela peut donner des idées aux populations, mais ce n’est pas du tout pareil !

Il y a peut-être plus de similitudes avec la Bolivie, puisque les putschistes se reconnaissent dans l’opposition vénézuélienne et inversement. La différence fondamentale avec la Bolivie c’est le rôle de l’armée. Au Venezuela, cette dernière reste loyale à Maduro. L’armée et le chavisme sont liés historiquement, idéologiquement et économiquement : Chavez et le chavisme sont issus de l’armée, des courants idéologiques chavistes la structurent, les militaires sont très bien rémunérés et l’armée gère et tire des revenus de différentes entreprises publiques. À l’inverse, Morales était extérieur à l’armée : bien qu’il l’ait plutôt bien rémunérée et ait en un sens essayé de l’« acheter », cela n’a visiblement pas suffi. 

Une autre différence est qu’une confrontation électorale relativement électorale relativement ouverte comme en Bolivie n’a pas lieu au Venezuela où l’opposition ne se présente plus face à Maduro. Mais en raison de sa situation dramatique, le Venezuela est une poudrière qui peut exploser à n’importe quel moment et sur n’importe quel motif. 

Ce qui se passe dans les barrios indigènes en Bolivie contre le coup d’État est intéressant. Cela montre que ce n’est pas Morales en Bolivie, et donc pas Maduro en Venezuela, qui peut protéger les classes populaires, mais bien un mouvement autonome et auto-organisé.