La crise du logement en France est catastrophique. On compte 3,6 millions de mal-logés (+ 50 % depuis 2001). Les loyers et les prix de l’immobilier n’ont cessé de grimper (+ 29 % en moyenne en dix ans). C’est sans doute dans la capitale que cette situation atteint son paroxysme.
A Paris, les loyers du parc locatif privé ont atteint une moyenne de 23,2 euros le m2 en février 2013. On y paye désormais son 40 m2 plus de 1000 euros par mois, hors charges locatives, même dans les quartiers les moins chics. Depuis 2000, les loyers parisiens ont plus que doublé. A comparer avec l’augmentation du pouvoir d’achat du Smic sur la même période : environ + 15 %...
Les classes populaires sont ainsi chassées de Paris, contraintes de partir en banlieue de plus en plus lointaine (en subissant des temps et des conditions de transports épuisants), à moins d’accepter de vivre dans des mini-logements. Les 20 % les moins riches doivent consacrer 40 % de leurs revenus au logement. Et le logement social ? Il est dramatiquement insuffisant au regard des besoins. Il y a aujourd’hui 126 000 demandeurs en attente d’un logement social à Paris. Dix ans d’attente en moyenne.
Les causes de cette crise tiennent toutes à des mécanismes inhérents au capitalisme. Mais les « responsables » politiques bien-pensants préfèrent ne pas prononcer le mot, et plutôt invoquer une sorte de fatalité : il serait bien naturel de payer de plus en plus cher le centre si désiré ou les quartiers les plus chics, surtout si le foncier vient à manquer. Ce qui est rare n’est-il pas précieux ? L’idéologie libérale a d’ailleurs une solution simple à la crise du logement : l’envolée des prix liée à l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande va justement booster l’investissement immobilier… et finir par faire baisser les prix. Magie autorégulatrice du marché !
La réalité montre bien sûr l’inverse depuis des décennies : flambée des loyers et des prix, pénurie croissante des logements. C’est une conséquence inévitable du marché capitaliste du logement, avec ses opérations de spéculation immobilière et la liberté des prix. Le logement, bien de première nécessité, est une marchandise livrée à la spéculation et à la loi du profit. Cette contradiction joue encore plus à fond depuis la deuxième moitié des années 1980 : les prix sont dérégulés alors que la production de logements sociaux a beaucoup baissé. La pénurie n’a donc rien de naturel mais est entretenue par les mécanismes de marché, et n’est pas compensée par les pouvoirs publics.
Du coup, il y a bien une bulle de l’immobilier capitaliste : les prix ascendants assurent une rente aux promoteurs immobiliers (et à tout le système financier, largement impliqué dans ce secteur), et poussent ceux qui le peuvent à devenir propriétaires de leur logement, souvent au prix de lourds sacrifices, ce qui les rend d’ailleurs intéressés eux-mêmes à la hausse continue des prix… Les mécanismes du capitalisme poussent donc particulièrement à la hausse d’un bien comme l’immobilier, actif financier juteux et durable, alors même qu’il est, aussi, le bien de première nécessité par excellence pour les classes populaires.
Un fait montre bien à quel point la crise du logement est la conséquence des logiques du marché et du profit. La « pénurie de foncier » à Paris n’a pas empêché les capitalistes de l’immobilier, les banques et les promoteurs, de créer une véritable bulle de l’immeuble de bureau : rien qu’à Paris, il y a 1,6 million de m2 de bureaux vides. Cette dernière décennie, le système capitaliste a accouché d’une surproduction de bureaux et d’une pénurie de logements.
Et que dire de cette absurdité, propre au fonctionnement du capitalisme ? Il y aurait 137 000 logements vides rien qu’à Paris. C’est beaucoup plus que le nombre des sans-abris. Et très souvent ces logements appartiennent à des banques ou sociétés d’assurance qui spéculent sur les prix de l’immobilier et pratiquent la vente à la découpe aux dépens de locataires en place.
Que dit la droite ? Qu’a fait la « gauche » ?
Pour la droite, les choses sont simples : il faut laisser faire le marché. Tant pis pour les pauvres… A Paris, Nathalie Koscisusko-Morizet a beau vouloir se donner des airs de bourgeoise cool, elle surenchérit dans l’ultra-libéralisme le plus réac. Pour elle, le problème de Paris, c’est que l’on en chasse les « classes moyennes » (ce qui veut dire dans son langage les cadres supérieurs). Elles seraient prises en étau entre les riches, qui peuvent tout s’acheter, et les pauvres qui auraient « droit » à toutes les allocations sociales et au logement social.
Sans complexe, la candidate UMP a donc annoncé à la fois une baisse massive des impôts, grâce à la magie d’une baisse drastique des dépenses de la ville de Paris de 1 milliard (sur 8 milliards de budget !), ce qui signifierait une diminution considérable des constructions de logements sociaux, et une politique pour favoriser les « classes moyennes » en leur réservant une partie plus importante des logements sociaux et en relevant les plafonds d’accès (pourtant déjà à plus de 5000 euros de revenu net mensuel pour un couple avec enfants).
Comme on sait, la gauche « de gouvernement » n’est pas si cynique, elle a même des pensées philanthropiques, parfois. Il faut donc tout de même « agir »… mais sans fâcher les capitalistes et les propriétaires. En 2001, Delanoë avait mené campagne pour une « ville partagée », « pour toutes et tous », les riches et les pauvres, donc. Mais que faire quand les loyers flambent ?
L’équipe socialiste se réfugiait derrière le prétexte que c’est l’Etat qui pouvait encadrer les loyers, et Delanoë s’enhardit même, en 2007, à conseiller à l’ex-future présidente de la République Ségolène Royal de bloquer les loyers autour de 16 euros le m2 (contre une moyenne de 23, donc, en 2014…). Mais les voilà maintenant au pouvoir (d’Etat), les socialistes. Et le candidat Hollande n’a-t-il pas promis une loi pour « encadrer les loyers » ? N’en a-t-il pas confié le soin à une députée parisienne, ministre « écologiste » du logement ? Voici donc la loi Duflot, qui au mieux ne sert à rien. Pschitt (voir dans cette édition l’article d’Isabelle Foucher, page 7).
Reste la politique du logement social. La construction de logements sociaux a été effectivement amplifiée à Paris après sa conquête par les socialistes, en 2001. Sous la droite, au début des années 1990, on en construisait 2000 par an, pour tomber à 600 en 1998. Sous la gauche (2001-2013), on est passé de 3500 en 2003 à un rythme de croisière de 6 à 7000 en 2010-2013. Soit 70 000 nouveaux logements sociaux en tout. Leur part est passée de 13,4 % à près de 20 %. La municipalité gauche plurielle a donc utilisé les ressources considérables de la ville la plus riche de France pour construire davantage de logements sociaux, désormais seule possibilité pour beaucoup de rester vivre à Paris.
L’eau ne cesse de monter, la gauche (au mieux) écope…
Sauf qu’entre-temps, sous les deux mandats de Delanoë, les loyers du privé connaissaient la flambée la plus vive, une multiplication par deux ! Ces nouveaux logements sociaux n’ont donc absolument pas compensé la disparition bien plus importante de logements accessibles aux classes populaires, engendrée à la fois par la destruction de centaines de milliers de logements vétustes et par la mécanique infernale des loyers fous.
Sans compter que tous les logements sociaux ne sont pas construits pour les classes populaires. 25 % des logements sociaux ont été agréés en « PLS » (le logement social pour les « classes moyennes », avec un plafond de ressources de 5660 euros/mois pour un ménage avec deux enfants), alors que cette catégorie de particuliers entrant dans ces conditions de ressources représente 5 % des demandeurs de logement social. Le choix assumé par Delanoë, de laisser une large place aux « classes moyennes » au nom de la « mixité sociale », a contribué à limiter l’accès au logement social de nombreux ouvriers, employés, chômeurs. A commencer par les agents de la ville de Paris eux-mêmes, puisque les deux tiers d’entre eux n’habitent pas Paris, trop chère pour eux !
La municipalité socialiste (et PCF et EELV) a donc surtout « écopé » face à la disparition du logement populaire à Paris. En douze ans de pouvoir, ils n’ont pas gouverné Paris en rompant réellement avec la politique de la droite. Ils n’ont pas amélioré en profondeur la vie des ouvriers, des employés, des retraités, aux petits revenus, des chômeurs, ne se sont pas opposés à l’embourgeoisement de la capitale, mais au mieux l’ont accompagnée, au pire amplifiée et co-organisée.
Au regard de la dominante de ces douze années de gestion municipale, le bilan social dont se targuent le PS, le PCF et EELV pèse peu, et ne pouvait même qu’engendrer des effets pervers. La mairie, en embellissant et en dotant en nouveaux équipements (culturels, sportifs, crèches etc.) les arrondissements les plus populaires de l’est parisien, délaissés par la droite, a contribué à faire monter encore les loyers et les prix de l’immobilier dans ces quartiers, et à en expulser les pauvres censés en bénéficier. Misère de l’accompagnement social du capitalisme...
L’abdication des socialistes (et d’EELV) sur cette question dramatique du logement s’explique par leur incapacité à remettre en cause les intérêts et les logiques mêmes du capitalisme, et par une solidarité fondamentale avec tous ceux qui ont un patrimoine. Car le logement, comme actif rentable, au prix élevé promettant de belles plus-values, comme placement sûr, est un enjeu central non seulement pour le 1 % de la population que représenterait à la rigueur la classe capitaliste, mais aussi pour peut-être 10 ou 15 % de la population d’un pays comme la France, qui complètent leurs revenus d’activité par les revenus de leur patrimoine. Revenus qui ont bien mieux prospéré ces trois dernières décennies que ceux du travail.
Cette évolution ne les a donc pas trop gênés : elle enrichit les propriétaires et confirme Paris comme métropole mondiale de la finance, du luxe et du tourisme, objectif fondamental partagé aussi bien par l’UMP que par le PS.
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Un programme anticapitaliste pour le logement
C’est donc bien la logique du marché et du profit privé qui est en cause. Voilà pourquoi le NPA défend des mesures qui ont toutes un point commun : elles impliquent de sortir le logement de la logique capitaliste.
► La baisse massive et le blocage des loyers (dont les charges locatives).
► La réquisition des logements vides et la conversion des bureaux vides en logements.
Des mesures d’urgence sont nécessaires pour les situations les plus dramatiques. Nous sommes solidaires des revendications de ceux qui luttent depuis longtemps pour cela, le Droit Au Logement, la plateforme des associations pour le logement :
► Il faut interdire les expulsions locatives.
► Il faut annuler les dettes locatives des personnes et familles frappées par le chômage.
► Il faut réquisitionner les logements vides, et convertir les bureaux inutilisés en logements, pour y installer les personnes à la rue ou dans des taudis. Une loi de réquisition existe déjà : elle a été adoptée en 1945, à la fin de la guerre. Il faut déclarer la guerre à la misère et appliquer enfin la loi.
► Il faut rénover les logements, pour diminuer la facture énergétique et les charges des locataires.
► La construction massive de logements sociaux. De qualité, car les vastes barres de « cages à lapins » ne peut être l’idéal urbaniste « toujours bien bon pour les pauvres ». Il faut construire prioritairement des HLM réellement sociaux (les logements « PLUS » et « PLAI »), et pas des HLM réservés aux revenus « moyens », comme les mairies le font de plus en plus souvent, pour chasser encore plus de « pauvres » de Paris.
Ces mesures ne respectent pas la propriété privée, celle des riches possédants, des banques, des spéculateurs. Construire massivement des logements sociaux, cela suppose des financements prioritaires de l’Etat en prenant l’argent là où il est, dans les poches des capitalistes. Réquisitionner les logements et bloquer les loyers, c’est s’attaquer à leurs propriétés et à leurs revenus. Ils hurleront bien sûr à la spoliation. Les banquiers et spéculateurs se réfugieront comme d’habitude derrière les « petits » (propriétaires-habitants) pour défendre les intérêts des gros (bailleurs).
Mais il est temps de sonner la fin de la fête pour les banques et les capitalistes en tout genre qui se chargent de nous « loger » en spéculant, en organisant la pénurie de logements, en vendant à la découpe, en faisant flamber les loyers, en encaissant l’argent des locataires (et même l’APL qui va parfois avec !) sans rénover, et sans construire les immeubles nécessaires. En dix ans les profits locatifs empochés par les banques, les groupes financiers, les multipropriétaires d’appartements, ont augmenté de 73 %. Ça suffit !
La question démocratique
On sait à quel point les attributions de logements sociaux peuvent être opaques et arbitraires. Elles restent des instruments de clientélisme électoral (voire de franche discrimination et de tri social et racial) pour certaines équipes municipales. Comme viennent encore de nous le rappeler les récents scandales de Frigide Barjot, occupant un logement social en duplex de 170 m2 dans le 7ème arrondissement, à des prix trois à quatre fois inférieurs à ceux du marché, ou des conseillers municipaux et adjoints-au-maire ayant visiblement bénéficié de coupe-file pour occuper des logementssociaux.
Il faut obliger les mairies des arrondissements parisiens et des mairies de la petite couronne les plus riches à construire autant d’HLM qu’en Seine-Saint-Denis. Les ghettos de riches à Neuilly et dans le 16ème, ça suffit ! Il faut rendre complètement transparentes et démocratiques toutes les procédures d’attribution des HLM. Elles doivent être contrôlables par les citoyens et les associations d’aide aux mal-logés.
Et comment d’ailleurs assurer une véritable défense des intérêts des locataires, sans un bond en avant de leur organisation en syndicats, dotés de réels pouvoirs ? Comment savoir combien il y a de logements vides, de bureaux inutilisés, où ? La moindre des choses, ce serait déjà d’imposer la publication des propriétés immobilières de tous les groupes capitalistes, en toute transparence. Une politique anticapitaliste suppose une percée démocratique, à partir de luttes de plus en plus massives et radicales pour le droit à se loger et à vivre décemment dans sa ville.
Yann Cézard