Créée en 2003 sous le ministère Borloo, l’ANRU (Agence nationale de la rénovation urbaine) prétend régler les problèmes de la misère par l’urbanisme. C’est en réalité une entreprise à « kärcheriser » sans bruit la banlieue, au profit des grandes sociétés du BTP et au détriment des populations les plus démunies.
Cette nouvelle agence avait pour objectif de coordonner tous les organismes liés au logement afin de faciliter l’action des communes. En fait, elle sert surtout à détourner le 1% logement destiné à financer l’habitat social, pour subventionner les grands groupes du BTP en leur confiant la destruction de milliers d’immeubles collectifs dans plus de 500 quartiers. De plus, pour financer la reconstruction, les communes doivent s’endetter auprès des banques. C’est pourquoi il y a beaucoup plus de démolitions que de reconstructions et que lorsqu’il y a reconstruction, c’est avec un nombre de logements moins important, aux surfaces moins de grandes, de moins bonne qualité mais pour des prix plus élevés.
Résultat de la politique de l’ANRU, non seulement les plus pauvres sont expulsés et le plus souvent mal relogés, mais les mairies s’endettent, les impôts locaux augmentent tandis que les grosses sociétés du BTP et les banques s’enrichissent. Cette politique était surtout une réponse, dans les moments où la colère des jeunes des banlieues éclatait comme en 2005, visant à satisfaire la clientèle politique qui craint ces banlieues et pour qui les grands immeubles équivalent à la pauvreté, autrement dit à la « racaille ». Bref, une manière de « kärcheriser » sans bruit les banlieues, considérées comme des territoires à reconquérir.
Le cas de Montbéliard
C’est dans ce cadre et avec cet état d’esprit que la mairie PS de Montbéliard (avec participation PCF) et les HLM démolissent depuis quelques années un certain nombre d’immeubles collectifs de la ZUP de Montbéliard. Les effectifs de PSA étant passés à Sochaux, en quelques décennies, de plus de 40 000 salariés à 10 000, bien des gens sont partis et des logements sont vacants. Mais la mairie n’a rien pensé ni prévu, et surtout pas consulté les habitants. Comme elle détruit avant de reconstruire, il n’y a à proposer à ceux qui sont expulsés que des logements pires et/ou plus chers, dont certains sont d’ailleurs destinés eux aussi, plus tard, à la démolition. Des locataires ont ainsi déjà été déplacés plusieurs fois.
Or, bien d’entre eux sont venus il y a trente ou quarante ans, souvent d’Afrique du Nord, au moment des belles années de l’embauche à PSA. Ils ont maintenant 70 ans ou plus, sont souvent malades ou handicapés, ayant donné leur santé au capital. Et maintenant, à défaut de pouvoir les chasser vers leur pays d’origine car beaucoup ont acquis la nationalité française, on les expulse de leur logement, on les disperse, on les cache. Mais à cet âge, ils ne peuvent pas être déplacés n’importe où, le déménagement forcé est une catastrophe, socialement et physiquement, tout simplement car ils ne sont plus en état physique de pouvoir déménager. Les déménagements forcés sont la cause principale des dépressions aujourd’hui et, pour les plus fragiles et âgés, ils peuvent se terminer par de véritables drames et la mort.
Aussi, depuis dix mois, les locataires de deux immeubles de la ZUP se battent, d’une part, pour obtenir des relogements satisfaisants pour ceux qui acceptent de partir, d’autre part, pour maintenir un immeuble où logent les plus âgés mais aussi alerter les autorités et l’opinion sur les menaces que cette politique urbaine fait planer sur la santé et la vie des plus âgés.
Dans une lettre ouverte, ils écrivaient :
« Notre immeuble est un exemple réussi de la mixité sociale, générationnelle et ethnique. Sa communauté est plus qu’un petit village, elle est devenue notre seconde famille, un trait d’union entre les générations et les communautés et un exemple vivant de ce que peut être la lutte contre l’isolement social des personnes âgées. Mais nous sommes menacés d’être dispersés, isolés, notre ‘‘famille’’ éclatée. A nos âges, non seulement déménager est une impossibilité physique, une souffrance morale, mais cette rupture de ces liens et de ces entraides, serait pour la plupart d’entre nous un désastre pour notre santé physique et notre santé mentale, un désastre irréversible aux conséquences que nous pressentons malheureusement tragiques. Si tout ce que nous apportait notre petite collectivité était ‘‘kärcherisée’’ (…) désormais isolés nous serions délaissés, réduits à nos difficultés, nos handicaps, notre malheur... »
Malgré des interpellations du conseil municipal, du bailleur, des ministères, du sous-préfet, de la presse, la venue de Florence Aubenas ainsi que l’organisation d’une fête et de manifestations multiples, rien ne bouge. Il reste peut-être, à la veille des élections municipales, à mettre en lumière l’ampleur nationale du problème et les nombreux morts chez les personnes âgées que la politique de l’ANRU est sans doute en train de générer dans le pays. Pire que la canicule de 2003 ?
Jacques Chastaing