Entretien avec Alex Mahoudeau, auteur de l’ouvrage « La Panique woke » (Textuel, 2022). L’interview a été réalisée lors de notre dernière université d’été, au cours de laquelle Alex Mahoudeau a animé un atelier autour des thématiques de son livre.
C’est quoi, « la Panique woke » ?
La Panique woke c’est un bouquin qui a été écrit suite à un ensemble de polémiques, notamment autour de l’université, qui ont commencé selon moi il y a un bon moment mais qui se sont vraiment renforcées, en fait, en 2021, avec l’émergence de ce mot, le « wokisme », qui serait une idéologie venue des États-Unis. Moi ce qui m’intéresse, ce qui m’a intéressé, c’est de voir comment ce phénomène se construisait médiatiquement, se construisait chez des intellectuels et chez des politiques également et constituait ce que j’appelle une « panique morale », c’est-à-dire un moment où il y a une cristallisation d’inquiétudes sociales, plutôt produites dans ce contexte-là par le haut. C’est-à-dire par, entre guillemets, les « élites », pour stigmatiser un groupe décrit comme étant déviant, dangereux, malveillant, avec des théories qui tiennent pas
trop trop la route, en mettant ensemble, en fait, c’est ce que je dis dans le bouquin, des choses qui sont, qui peuvent être perçues comme positives, des choses qui peuvent être perçues comme négatives et des choses qui peuvent être perçues comme n’ayant aucune importance et aucun rapport entre elles.
Cette panique a connu un moment de forte accélération, puis de ralentissement, elle reprend, elle se ré-arrête ponctuellement, mais globalement elle vient s’inscrire, en fait, dans une histoire un peu longue, qui est l’histoire des paniques morales conservatrices et réactionnaires, qui ont pour effet de mobiliser contre des formes de mobilisation pour l’émancipation.
Et c’est quoi le wokisme ?
Le wokisme, en vrai, personne ne sait trop ce que c’est. Moi je ne sais pas et je pense que les personnes qui écrivent dessus ne savent pas non plus parce que c’est un mot qui n’a pas vraiment pour but de vouloir dire quelque chose. En fait les gens qui en parlent en ont plus ou moins trois définitions qui sont concurrentes les unes avec les autres et qu’ils vont aller chercher, quitte à parfois les présenter dans le même texte alors qu’elles sont en contradiction.
La première consiste à dire que c’est en fait une sorte d’idéologie qui se développerait depuis les années 1960 sur les campus américains avec pour but de détruire les valeurs de l’Occident, de la démocratie, etc.
La deuxième, c’est que ce serait une sorte d’épidémie, de maladie mentale, qui viendrait se développer au sein d’une génération à laquelle on n’a jamais su dire non.
Et la troisième, c’est que le wokisme, ce serait, en fait, une stratégie du capitalisme pour arsenaliser les luttes sociales en sa propre faveur. Ce troisième point a le mérite d’être pas entièrement faux. Le problème c’est qu’il ne conduit jamais à une remise en cause du capitalisme, il conduit à une remise en cause des valeurs qui sont mises en avant à travers des publicités notamment. Or la publicité a pour particularité de mobiliser toutes sortes de valeurs positives, et c’est le seul cas dans lequel on va s’en servir comme d’une critique non pas de la publicité et des entreprises qui la produisent, mais des valeurs mobilisées.
Moi je préfère définir le wokisme comme étant un concept un peu creux, dans lequel on va mettre tout ce qui inquiète à un moment donné pour fournir une théorie générale et servir à des mobilisations réactionnaires.
En fait la droite, et notamment la droite réactionnaire, a une longue histoire de victimisation. On a actuellement des intellectuels de droite qui ont tendance à dire que tout le monde se victimise et que l’identité victimaire c’est un truc qui va être utilisé pour obtenir des droits par des gens qui ne les méritent pas. Mais en réalité c’est un peu leur stratégie politique à eux ! Il faut voir qu’il y a énormément d’écrits d’auteurs réactionnaires qui consistent à dire qu’à une époque le monde était bien organisé et que maintenant, en fait, eux sont placés en bas de la hiérarchie sociale. On peut penser par exemple à Pascal Bruckner qui écrit, dans Un Coupable presque parfait, qu’aujourd’hui dans la hiérarchie sociale, il y a, en haut, des femmes noires, lesbiennes, transgenres et handicapées, et en bas des hommes blancs hétérosexuels de plus de 50 ans et d’ascendance bourgeoise…
En réalité tout ça est ridicule mais ça permet de créer ce sentiment de victimisation, ce sentiment de peur qui légitime de faire tout et n’importe quoi et qui surtout sert à mobiliser une base, qui va plus ou moins se mobiliser. Là, sur le wokisme, en termes de mobilisation populaire c’est un peu un échec pour, disons, se battre factuellement contre ces droits, puisque en réalité les droits dont on parle, ce sont les droits acquis par le mouvement social, par les féministes, par les personnes qui luttent contre le racisme, par le mouvement ouvrier… Bref des droits qui avantagent en réalité tout le monde !