Maintenir les grandes orientations économiques et (anti)sociales de Sarkozy-Fillon, et même les approfondir… Mais en gommant leurs « excès » les plus voyants et en associant les directions syndicales à travers la relance du dit dialogue social : telle est l’essence de la politique du nouveau gouvernement.
C’est sans surprise que début juillet, le rapport de la Cour des comptes commandé par le gouvernement a chiffré « l’effort nécessaire », en termes de réduction des dépenses et d’augmentation des recettes, pour atteindre les objectifs de baisse du déficit budgétaire (à 4,5 % du PIB en 2012 et 3 % en 2013) ainsi que de stabilisation, ou limitation de la hausse, de la dette publique : il va falloir trouver plus de 7milliards d’euros dès cette année et pas moins de 38 milliards au cours de l’exercice suivant.
Une attaque brutale se prépare
Ce qui transpire déjà de la préparation du budget 2013, de même que les indications données à propos d’une future loi de programmation budgétaire pluriannuelle, font froid dans le dos. La cure d’austérité sera rude, très rude. Figurent, entre autres, au menu :
• Le gel ou une très faible hausse des salaires nominaux des fonctionnaires – donc leur baisse en euros constants. Alors qu’Hollande prévoyait dans son programme électoral de limiter l’augmentation annuelle des dépenses publiques à 1,1 % (un chiffre inférieur à celui de l’inflation), la Cour des comptes lui demande maintenant de les geler. Le poste principal de ces dépenses est celui des salaires et pensions. Quel que soit l’arbitrage final, la perte de pouvoir d’achat sera sérieuse.
• Une RGPP renforcée en dehors des secteurs définis comme prioritaires : enseignement, police, gendarmerie, justice. 65 000 embauches y sont annoncées en cinq ans (60 000 dans l’enseignement), alors que les effectifs globaux de la fonction publique doivent rester stables. Un simple calcul aboutit au non remplacement, dans les autres secteurs, de deux départs à la retraite sur trois. Les « lettres de cadrage » adressées aux ministres par le chef du gouvernement leur demandent de communiquer avant la fin juillet leurs propositions de réduction de postes pour la période 2013-2015, dans le cadre de l’objectif global d’une diminution de 2,5 % par an.
Ajoutons que les embauches annoncées dans l’Education nationale ne sont pas ce que beaucoup ont voulu croire : la majorité d’entre elles concerne des personnels non enseignants voire hors statut (emplois aidés, contractuels…). Le projet de budget rectificatif pour 2012 prévoit l’embauche à partir de la rentrée de 1 000 professeurs des écoles, 100 conseillers principaux d’éducation, 2 000 assistants d’éducation, 500assistants de prévention et de sécurité, 1 500assistants de vie scolaire et des milliers de contrats d’insertion…
• Les dépenses d’investissement, tout comme les dépenses sociales de l’Etat – aides au logement, allocation adulte handicapé, contrats aidés… – devraient quant à elles baisser de 5 % par an. Les financements des établissements publics (tels que la BNF, Météo France, etc.) seraient eux aussi gelés ou diminués. La Cour des comptes (présidée par le socialiste Didier Migaud) recommande en outre de désindexer de l’évolution des prix le montant des retraites et celui des allocations familiales !
• La « grande réforme » mise en chantier à l’occasion de la Conférence sociale des 9et 10 juillet est le transfert vers l’impôt, à travers une nouvelle et substantielle hausse de la CSG, d’une part significative des cotisations sociales patronales. L’objectif est de « restaurer la compétitivité des entreprises » en alignant les « charges qui pèsent sur le travail », actuellement de 22,6 % du PIB, sur la moyenne de l’Union européenne qui est de 17,5 %.
Outre qu’ainsi le gouvernement PS en finirait quasiment avec le principe du salaire socialisé, cette baisse des « charges » des entreprises serait financée pour l’essentiel par les salariés (y compris les plus modestes qui ne paient pas l’impôt sur le revenu). Dans un communiqué du 10 juillet, le syndicat Solidaires Finances publiques rappelle que près de 70 % de la CSG proviennent des revenus d’activité, 18 % des revenus de remplacement (principalement les retraites) et 11 % seulement des revenus du patrimoine. Le nouveau gouvernement peut bien faire abroger le projet de TVA (anti)sociale de Sarkozy, sa solution de remplacement est au moins autant si ce n’est plus brutale. Ce « n’est pas une simple hausse d’impôts, une de plus. C’est un changement du mode de financement de la protection sociale. Une réforme structurelle qui fera des gagnants et des perdants mais dont l’objectif, consensuel, est d’améliorer la compétitivité du pays » (Le Monde, 10 juillet).
Ressemblances et différences
« Tout cela ressemble fort à la poursuite de la politique précédente », écrivait le 3juillet l’éditorialiste des échos, Jean-Francis Pécresse. Oui et non. Oui quant au sens général de la politique menée. Non dans la mesure où cette austérité de gauche, si elle est parvient à s’appliquer, sera plus globale, plus systématique et plus profonde que celle mise en œuvre sous Sarkozy et Fillon. Et non, avant tout, du fait de la méthode qui est employée.
La première différence concerne la présentation et le timing des mesures d’austérité. Si une série d’informations partielles sont bien distillées afin de préparer le choc austéritaire que représentera le budget 2013, rien n’est aujourd’hui dit clairement, explicitement, et la population dans son ensemble reste dans le flou quant aux véritables projets du gouvernement. D’autant que les premières mesures annoncées, celles du collectif budgétaire de 2012 portant sur un peu plus de 7 milliards, consistent en l’annulation de certaines des mesures les plus indécentes prises par le gouvernement précédent, ainsi qu’en des taxes exceptionnelles ou des majorations d’impôts touchant les entreprises, les banques et les secteurs les plus favorisés de la population. Ce qui fait enrager la droite et réjouit en retour le PS, qui en profite pour camper sur une posture de gauche. Voilà le « sens donné à la rigueur » promis par le candidat Hollande ! Les mesures frappant les travailleurs – auxquels on pourra expliquer : « voyez, on a déjà fait payer les actionnaires et les riches, mais ça ne suffit pas » – viendront un peu plus tard, dans quelques mois, quand il s’agira de trouver non plus 7mais 38 milliards…
De toutes les mesures du collectif budgétaire 2012, seule la fin de la défiscalisation et de l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires (emblème du « travailler plus pour gagner plus » sarkozyste) va affecter le pouvoir d’achat d’une partie des salariés, mais la suppression de cette incitation au chômage ne peut être contestée ailleurs qu’à droite. Relevons tout de même que les patrons des entreprises de moins de 20 salariés continueront à bénéficier du très favorable dispositif précédent – au contraire de leurs travailleurs qui, eux, devront désormais payer plein pot.
Le piège du « dialogue social »
L’autre grande différence réside dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis des « partenaires sociaux », notamment les directions des confédérations syndicales (mais aussi les organisations patronales, ainsi que d’autres structures). Pendant la dernière partie de son mandat, Sarkozy s’était attaqué frontalement aux « corps intermédiaires », principalement les syndicats. Hollande et Ayrault, eux, les caressent dans le sens du poil.
Les réactions pleines d’enthousiasme des dirigeants des grandes confédérations syndicales, à l’occasion d’une Conférence sociale dans laquelle le gouvernement n’avait pourtant à annoncer que plus de sacrifices pour les travailleurs et les classes populaires, laissent pantois. « C’est un beau programme » (François Chérèque) ; « on est sur un cap nouveau » (Bernard Thibault) ; « beaucoup d’éléments positifs » (Jean-Claude Mailly)…
Pour l’expliquer, Le Monde du 9 juillet évoque la « grande peur des partenaires sociaux (…) ils se sont vus disparaître. Ils ne pourront résister à l’attrait de se voir indispensables. » D’autant que si l’on en croit Bernard Thibault, il y aura non seulement de la considération mais aussi quelques avantages sonnants et trébuchants : « M. Ayrault nous a promis une revalorisation des moyens syndicaux. » De là à accepter l’idée « que les finances publiques [sont] à bout, qu’il n’y [a] plus d’argent pour financer le modèle social sur les bases du compromis de l’après-guerre », il pourrait n’y avoir qu’un pas, qui risque d’être allègrement franchi si la mobilisation par en-bas ne venait pas bouleverser la donne.
Pour les anticapitalistes, au cours des prochains mois toute la question sera là: trouver les moyens politiques et d’organisation pour encourager, susciter – et quand elle se développera, coordonner – la résistance qui ne pourra venir que d’en bas, des salariés eux-mêmes et des équipes militantes, syndicales, fidèles aux intérêts de leur classe.
Jean-Philippe Divès