Les auteurs ont accepté de répondre à nos questions concernant leur récent essai.
Pourquoi ce livre sur Dieudonné ? Tout n’a-t-il pas été dit dans les articles qui lui ont été consacrés ces dernières années ?
Depuis bientôt dix ans, de nombreux articles ont été rédigés sur les déboires et dérives de Dieudonné. Ce dernier a également donné de nombreuses interviews, dont certaines éclairantes quant à son « antisionisme », dans la presse d’extrême droite (Le Choc du mois, Réfléchir&Agir, Rivarol). Certains de ses soutiens sont assez bavards et Internet amplifie une sorte de « capharnaüm ». Il faut donc faire le tri, car cette profusion de documents ne permet pas toujours de comprendre les impostures de Dieudonné.
Selon nous, la liste « antisioniste » conduite par Dieudonné en Île-de-France aux européennes de 2009, le « regroupement » hétéroclite qu’elle mettait en lumière, les résultats – loin d’être ridicules dans certaines communes franciliennes – sont des symptômes de l’offensive idéologique durable de courants politiques et politico-religieux (juifs, musulmans, catholiques) convergeant autour des notions de « tradition » et de « progrès ». Ces courants, certes minoritaires au sein des extrêmes droites européennes, visent à imposer – tout comme leurs « homologues » surfant sur le « choc des civilisations » – une grille de lecture nationaliste et « postraciste » (que ce soit sous sa forme « différentialiste » ou « universaliste ») dans le cycle historique ouvert à la fin des années 1980.
Pour vous Dieudonné est-il toujours un humoriste ? Faut-il interdire ses spectacles ?
Dieudonné répond à cette question dans Peut-on tout dire ?, paru en février 2010 : « dès lors qu’on est sur une tribune et qu’on parle, on fait de la politique ». Cette citation éclaire la démarche de celui qui faisait jadis de l’humour emprunt de critique sociale, sa profession. S’il n’est plus un humoriste, Dieudonné reste néanmoins une « bête de scène » capable de jouer dans les cadres les plus improbables et la scène reste son gagne-pain.
Concernant l’interdiction de ses spectacles, nous sommes de ceux qui pensent que ce n’est pas en « cassant le thermomètre que l’on fait tomber la fièvre ». C’est-à-dire que, sauf à contrevenir aux lois antiracistes (Dieudonné – depuis qu’il est passé « du côté obscur », revendique leur abrogation de manière habile sur le plan rhétorique), il paraît contre-productif d’interdire ses spectacles. Outre l’aspect liberticide, cela aurait tendance à renforcer la posture victimaire du personnage et sa dimension « subversive » auprès d’un public lui-même victime de la politique sécuritaire de Sarkozy. De plus, le juridisme antiraciste à l’œuvre depuis nombre d’années ne doit pas se substituer à l’indispensable dynamique sociale et politique qu’il convient de recréer contre le racisme et l’extrême droite, pour l’égalité des droits.
À quoi fait référence la notion de « galaxie » dans le titre de votre ouvrage ?
L’une des significations du terme est « l’ensemble formé par tout ce qui, de près ou de loin, participe d’une même activité » : la radioscopie de « l’ensemble Dieudonné » est l’une des dimensions de ce livre. Autour de Dieudonné, des négationnistes, des antisémites, des conspirationnistes, de vieux routiers de l’extrême droite, des « rouges-bruns », des fondamentalistes musulmans, des racialistes noirs, des sectaires… se croisent. Des liens internationaux se nouent.
Quel avenir pour cette galaxie ?
À un an de la présidentielle, les différentes composantes de la galaxie Dieudonné « vivent leur vie » indépendamment les unes des autres : Yahia Gouasmi (Centre Zahra) ambitionne de présenter « une des personnalités du Parti antisioniste » afin que l’élection présidentielle de 2012 ne soit pas « confisquée par des candidats tous estampillés Crif » ; Alain Soral assure la promotion de son livre Comprendre l’empire avec le soutien de son « fan club » (Kémi Séba, aujourd’hui résident au Sénégal, s’est d’ailleurs récemment exprimé sur le site Internet d’égalité et réconciliation); à un mois d’intervalle (mars et avril), Dieudonné et Thierry Meyssan sont interviewés par Rivarol. Peu de temps avant d’annoncer son soutien à Kadhafi avec Skandrani et Poumier, le premier, oscillant entre provocation et dépolitisation, déclare : « Mon rôle aujourd’hui est de représenter les gens qui pensent que l’action citoyenne leur est confisquée, qu’il nous reste le panache et la rigolade. Donc, je vais soutenir en 2012 la candidature d’une chèvre, biquette. » Le second conclut son entretien en déclarant que l’important est « de libérer notre patrie du parti de l’étranger qui la gouverne et de reconstruire une culture humaniste [sic] dont l’américanisme fait table rase ».
Bref, bien qu’ils s’en défendent, chacun poursuit un travail de sape dont la « locomotive » de l’extrême droite, le Front national, tirera profit.
Propos recueillis par Léa Guichard