Entretien. Le 7 septembre, quatre militantEs niçois étaient jugés pour de prétendues « violences », lors d’une manifestation, suite à des provocations de membres du « syndicat » policier Alliance. Olivier Sillam, 50 ans, enseignant, militant du NPA, ancien secrétaire national du SNES-FSU pour la tendance École émancipée, est l’un d’entre eux. Il a répondu à nos questions.
Peux-tu revenir sur les faits qui vous valent d’être convoqués devant un tribunal ?
Le 9 mai 2019, lors d’une manifestation syndicale de la fonction publique, des militantEs du syndicat de police Alliance se sont imposés dans une manifestation où ils n’étaient pas désirés, compte tenu de leur positionnement à l’extrême droite.
Dès le début, des organisateurEs de la manifestation leur ont interdit de déployer leur drapeau et de prendre la parole. Dès lors, ces policiers, qui n’étaient pas en service et donc sans brassard réglementaire, ont collé au sein du cortège aux syndicalistes de Solidaires étudiantEs et de la FSU qui s’étaient montrés – avec la CGT – les plus actifs pour leur refuser l’accès à la manifestation. Il faut savoir qu’un ordre précis de défilé avait été établi par les organisations syndicales : la CGT devant, la FSU au milieu, suivie par la CFDT… La CGC, auquel est affilié Alliance, devait manifester en queue des 9 OS. Les militants d’Alliance n’avaient donc rien à faire juste derrière le cortège de la FSU (auquel s’étaient joints des militantEs de Solidaires à titre amical), ce qu’ils ont pourtant fait.
Ceci dit, la manifestation s’est bien passée, comme toujours à Nice. En milieu de manif, en rappelant le contexte du 1er Mai 2019 où des syndicalistes avaient été gazés sans raison par la police, des militantEs FSU et Solidaires ont lancé deux slogans : « Police partout, justice nulle part » (ce qui n’est qu’une citation de Victor Hugo parlant du gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte) et « Ils tirent au LBD, à bas les condés, ils tuent, ils blessent, à bas les CRS » (slogan entendu dans de nombreuses manifs en France durant le mouvement des Gilets jaunes). Ce que nous n’avions pas vu, c’est que des policiers de la BAC s’étaient rapprochés des militantEs syndicaux.
À la fin de la manifestation qui se disperse dans le calme, deux jeunes de Solidaires étudiantEs, Dany et Alec, sont arrêtés discrètement par la BAC. Puis, ils viennent vers moi, alors que la manif est en train de se disperser et que je suis avec ma fille de 23 ans. Ils me demandent mes papiers. Je les leur donne mais leur demande pourquoi ? Outrage, disent-ils ! Je demande quel outrage ? Ils me répondent « condé » ! Je leur réponds que j’ai le droit de les critiquer comme eux ont le droit de me critiquer. Ils demandent à vérifier mon sac. Je leur donne en le jetant à leurs pieds. Ils me demandent alors de les suivre. Ma fille appelle à l’aide et a droit à sa clé de bras. J’appelle à l’aide et me retrouve violemment plaqué au sol avec clé d’étranglement et trois policiers sur mon dos (plaquage ventral). Je me suis vu partir en pensant qu’Adama était mort de la même manière. J’ai vu un genou sans savoir à qui il appartenait et je l’ai mordu. La pression s’est relâchée et j’ai été embarqué. Plusieurs vidéos montrent la violence de cette interpellation. Dans le fourgon j’ai retrouvé Delphine, arrêtée elle aussi. Toute ce qui restait de la manif, plusieurs centaines de personnes, a tenté de s’interposer. L’intervention policière a fait dégénérer une manif qui s’était déroulée dans le calme.
Nous avons fait 24 h de garde à vue. Durant l’interrogatoire il ont essayé de me coller « menaces de mort » en disant que « À bas » venait du verbe abattre ! Heureusement ils ont évité d’être ridicules. Alec et Dany sont poursuivis pour « outrage », Delphine pour « violence » et moi pour « outrage, rébellion et violence ».
De mon côté j’ai déposé plainte contre X pour « violences par personnes dépositaires de l’autorité ». Le procès devait avoir lieu le 19 décembre 2019. Celui-ci a été finalement repoussé au 7 septembre parce que la juge unique ne voulait plus l’être. Elle pensait avoir affaire à une simple affaire d’outrage et elle trouve un front syndical uni, le secrétaire de l’UD CGT 06 devant témoigner pour nous et des éléments amenés par la défense, vidéos, rapport sur mes blessures, qui montrent autre chose.
Que dit cette interpellation de la nature d’Alliance, « syndicat » policier de plus en plus assumé à la droite extrême ?
Alliance est clairement une organisation corporatiste plus qu’un syndicat. À ce titre, elle se situe au mieux à la droite extrême, mais sûrement à l’extrême droite. Ses soutiens réguliers vont d’Éric Ciotti à Marion Maréchal. Cette dernière a d’ailleurs déjà participé à des manifs avec eux, dans leurs rangs, notamment au moment de la Loi travail.
Mais cette organisation a aussi un caractère quasi séditieux. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller sur son site et de voir ses tracts. En date du 8 juin 2019, à propos des Gilets jaunes, on peut lire : « Si nos collègues venaient à être injustement condamnés, nous saurons ce qu’il nous reste à faire […] et notre colère, personne ne pourra la contenir. Alors messieurs qui êtes aux responsabilités, passez le mot ou bien nous assumerons les nôtres ! Nous serons attentifs à toute décision arbitraire et nous sommes préparés à réagir au besoin ».
Castaner a protégé, couvert, toutes les bavures policières et, une fois seulement, a parlé de violences policières. Le syndicat Alliance a alors obtenu sa tête. Cela en dit long sur l’institution policière et le sentiment d’impunité que peuvent ressentir les policiers. Résultat : leurs deux « syndicats » les plus à droite, Alliance et Unité SGP, obtiennent à eux deux plus des 2/3 des voix aux élections professionnelles. C’est très inquiétant, car on a l’impression d’une autonomisation de plus en plus importante de certains corps de police vis-à-vis du pouvoir politique, qui est encouragée par des organisations comme Alliance. Notre interpellation et son caractère violent pour ce qui me concerne s’inscrivent dans ce cadre.
Un comité de soutien très large s’est mis en place, quelles ont été ses actions ?
Nous sommes soutenus par un arc très large ; d’abord par les syndicats, FSU et Solidaires, parce que nous y sommes syndiqués, mais aussi CGT puisque le secrétaire de l’UD CGT 06 vient témoigner en notre faveur. Au-delà, il y a tout le milieu associatif et politique niçois de gauche mais aussi les Gilets jaunes. Il y a une mobilisation importante qui s’est organisée, notamment le jour du procès.
Dans quelles perspectives vous inscrivez-vous ?
Notre procès n’est malheureusement pas le seul. Le 19 décembre prochain il y aura celui de dix militantEs d’ATTAC, d’Extinction Rebellion et des Gilets jaunes qui avaient tagué la Société Générale. Moi-même je subis un harcèlement policier puisqu’on me colle un deuxième procès qui aura lieu en 2021, pour un prétendu « outrage » que je conteste et pour lequel j’ai subi garde à vue, perquisition et quatre mois d’écoute ! Et puis nous attendons aussi le procès que Geneviève Legay a intenté après qu’elle a subi des violences policières.
Propos recueillis par Cathy Billard