Dans les propositions avancées comme par les difficultés rencontrées, il y aura eu de nombreux points communs entre notre campagne et celle de Lutte ouvrière. Des différences, aussi. Nous avons quoi qu’il en soit, les uns et les autres, intérêt à renouer un dialogue politique.
«Une campagne ordinaire », c’est sans doute la première idée qui vient à l’esprit, à suivre la campagne et à lire l’intervention de Nathalie Artaud le soir du 1er tour : « Alors, camarades, nous sommes certes minoritaires, comme le sont habituellement les révolutionnaires dans les périodes de recul, mais notre politique, nos convictions, nos idéaux sont vus d’un bon œil parmi les nôtres et nous avons bon accueil. Nos idées correspondent aux nécessités vitales de millions de travailleurs. Tôt ou tard elles seront reprises par des millions de femmes et d’hommes décidés à ne plus subir. à nous de faire vivre ces idées ! »
Les faire vivre, certes, mais comment ? Car ce qui a dominé est plutôt le sentiment de déjà vu, en particulier la répétition de formules générales et abstraites comme si l’essentiel était de donner une explication sur le communisme qui un jour c’est sûr servira à quelque chose, le jour où les masses voudront bien s’en emparer… Comme si l’extrême gauche ne pouvait que prendre date pour un avenir indéterminé.
Avec toujours la même certitude, ou le même prétexte qui sert à justifier le faible écho rencontré après les succès obtenus en 1995 et en 2002 : le « recul »… et la petite flamme que l’on transmet à contre-courant….
C’est une situation dont nous ne nous satisfaisons pas. Les militants révolutionnaires, anticapitalistes, communistes, sont suffisamment peu nombreux pour ne pas se payer le luxe de s’ignorer mutuellement, ou croire qu’ils pourront seuls dans leur coin répondre aux défis de la situation.
Nous avons au contraire tout intérêt à essayer de renouer le dialogue, bien au-delà de l’échange que nous avons à Presles chaque année, en essayant de comprendre ensemble les difficultés auxquelles nous sommes confrontés les uns et les autres. Face à l’austérité promise par Hollande, il faut que l’extrême gauche puisse être à nouveau à l’offensive.
Une campagne pour les luttes
Des points communs il y en a, et c’est d’ailleurs la première caractéristique qui nous a rassemblés, avec un mot d’ordre quasi identique : nous ne paierons pas la crise des capitalistes. Et une même préoccupation : face à la droite et l’extrême droite, la nécessité d’opposer un programme pour les luttes, contre l’austérité d’où qu’elle vienne, sans la moindre illusion sur ce que fera le Parti socialiste une fois revenu aux affaires.
Un programme fortement arrimé autour de quelques revendications essentielles du monde du travail, sur les salaires ou les retraites, et bien sûr l’interdiction des licenciements. Une revendication qui part des préoccupations immédiates mais pose en même temps clairement la question de la propriété et de qui dirige. Où l’on retrouve quelques éléments clés d’une démarche transitoire qui défend la nécessité d’un contrôle de l’ensemble de la population sur l’économie.
Mais une démarche qui n’est pas non plus sans rencontrer quelques difficultés lorsqu’il s’agit de la formuler jusqu’au bout, de manière conséquente et compréhensible pour les millions de gens auxquels on s’adresse. Car changer la société, et donc appliquer notre programme, c’est aussi gouverner, même si nous ne voulons pas gouverner comme les partis institutionnels au service de la bourgeoisie.
C’est d’ailleurs une difficulté pas forcément bien surmontée par nous-mêmes à cette étape. Opposer le « candidat ouvrier » au monde des politiciens ne dit pas en positif ce que nous ferions et comment nous comptons y arriver. Mais c’est une difficulté qui a été encore une fois totalement évacuée par LO, qui ne dit pas ce qu’il y a comme horizon au-delà des luttes et des résistances.
C’est d’autant plus ennuyeux que les réformistes à leur manière semblent offrir une réponse sur le terrain institutionnel. Il est vrai que les formules autour de l’Assemblée constituante et de la vie République ne sont pas non plus d’une grande clarté pour la plupart des gens. Mais elles existent.
Autre difficulté : le lien entre notre programme et notre intervention quotidienne dans les luttes puisque justement on explique que c’est totalement lié. Le NPA a tenté, y compris durant la campagne, de faire un certain nombre de propositions et d’interpellations pour faire converger les luttes et les résistances, sans attendre, en particulier contre les licenciements.
Mais sans réponses très encourageantes, y compris de LO qui semble préférer poser des jalons pour l’avenir (avec cette déclaration remarquable de Nathalie Artaud au Monde le 14 avril : « à LO, nous sommes des passeurs, c’est ainsi que nous nous vivons […] L’essentiel c’est de toujours lever haut le drapeau ».
Il est vrai que de leur côté le Front de gauche et Mélenchon se contentent de faire confiance aux syndicats, c’est-à-dire aux directions syndicales qui ont maintes fois trahi les luttes. Mais si les révolutionnaires se contentent de lever le drapeau pour plus tard, en quoi combattent-ils efficacement la politique des réformistes ici et maintenant ?
C’est là sans doute où nous aurions bien besoin de débattre ensemble, militantEs de LO et du NPA, pour voir comment nous pourrions intervenir dans la situation actuelle.
Une candidate communiste
C’est l’autre slogan de la campagne de LO. Une « candidate communiste ». Pas « trotskyste », comme on aurait pu s’y attendre, vu la propension de LO à expliquer depuis trois ans que c’est sa principale différence avec le NPA et qu’elle assume fièrement cette étiquette. Le détail n’est pas anodin. Face à l’OPA de Mélenchon sur le milieu communiste, celui du PCF, et les remous que cela a pu provoquer ici ou là, il y avait manifestement l’espoir de capter l’attention d’une partie de ce public.
Le plus révélateur est le contenu que donne LO à cette étiquette : en fait rien de plus que nous avons dit et défendu dans cette campagne, aussi bien dans notre matériel que dans nos interventions, en particulier la nécessité d’en finir avec le capitalisme et l’expropriation des grands groupes à commencer par les banques (avec la revendication immédiate d’un monopole bancaire sous le contrôle des travailleurs et de la population, revendication qui n’a de sens, il est vrai, qu’étroitement associée à l’heure actuelle à celle de l’annulation de la dette, étrangement ignorée par LO).
Pourtant, malgré cette convergence sur le fond, l’essentiel semblait être ailleurs : la mise en avant de l’étiquette en tant que telle, une façon de dire que LO est la « seule » organisation, avec la « seule » candidate. Ce qui ne trompe personne au bout du compte, et notamment pas celles et ceux qui votent anticapitaliste, c’est-à-dire LO ou NPA.
Il reste cependant quelques divergences qu’il faut ici expliciter et que nous assumons pleinement. En particulier sur l’écologie. Le sujet semble une fois de plus ignoré par LO, sinon à la marge, alors que cela devient un aspect majeur de la crise du capitalisme et une porte d’entrée des plus intéressantes pour discuter concrètement d’une autre société possible, en réhabilitant une idée aussi fondamentale que celle de la planification.
Concernant le nucléaire, il est faux d’affirmer que cela ne posera pas de problème sous le socialisme. Tout simplement parce qu’on a affaire à une industrie qui ne souffre aucune comparaison avec aucune autre. Peu importe que le risque d’un accident majeur soit très faible dans le cadre d’une société qui mettrait tous les atouts de son côté en matière de sécurité. Même infime, c’est ouvrir la porte à des conséquences incalculables et non maîtrisables. C’est ce paradoxe qui nous oblige à raisonner différemment sur cette question.
On ne peut terminer ce tour d’horizon bien rapide sans poser la question qui reste évidemment très tactique de la consigne de vote au deuxième tour. Un critère très simple devrait nous réunir : celui des luttes, de la manière dont les travailleurs et l’ensemble des classes populaires pouvaient ressentir une nouvelle victoire de Sarkozy. Nous n’avons aucune illusion et nous n’en propageons aucune sur la politique que Hollande appliquera une fois arrivé au pouvoir. Mais nous ne nous désolidarisons pas de celles et ceux qui n’en peuvent plus de Sarkozy, avec souvent assez peu d’illusions sur Hollande.
Nathalie Artaud a choisi quant à elle de voter blanc à titre personnel, sans consigne de vote. En 2007, l’engagement en faveur de Ségolène Royal était pourtant assez explicite, sans qu’on comprenne bien la différence avec aujourd’hui.
Et maintenant ?
Face à l’austérité que va appliquer le gouvernement Hollande, et face à une gauche réformiste plus ou moins renaissante autour du Front de gauche, nous avons à l’évidence deux impératifs : une politique de front unique audacieuse et offensive qui offre une issue immédiate aux problèmes auxquels est confrontée la classe ouvrière ; et la construction d’un parti anticapitaliste et révolutionnaire, dont les délimitations sont désormais beaucoup plus faciles à discuter face au projet du Front de gauche. Les deux étant en réalité très liés, sans être du tout au même niveau.
Mais pour rassembler, et quel que soit le niveau visé, l’unité pour les luttes ou la construction d’un parti, on a besoin de tout le monde et on n’écarte personne a priori surtout lorsqu’on se réclame de la révolution et du communisme. La discussion reste donc ouverte plus que jamais avec les camarades de LO.
Jean François Cabral