Publié le Mercredi 10 mai 2017 à 11h48.

Pour répondre à la crise du système de santé : Moins d’hôpital ou plus de service public ?

Sur fond de crise globale du système de santé, un plan de démantèlement et réduction de l’hôpital public est mis en application depuis des années par les gouvernements de droite comme de gauche. Pour y répondre, au-delà de mesures de défense immédiates, il est nécessaire de mettre en avant la perspective d’un nouveau service public de santé global, basé sur la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux.

Les propositions de François Fillon préconisant la privatisation rapide d’une partie du système de santé ont suscité de vives réactions. Elles forment un projet cohérent, combinant réforme du financement et de l’organisation des soins. Les assurances remplaceraient la Sécurité sociale pour financer les soins courants. L’hôpital public, jusqu’alors pivot du système de santé, verrait sa place réduite (des milliers d’emplois étant supprimés dans les hôpitaux) au profit de réseaux de soins privés. S’il se distingue par sa radicalité, ce projet s’inscrit dans la continuité des politiques menées par François Hollande et ses prédécesseurs, mettant en cause le droit aux soins pour tous.

Le système de soins qui s’est constitué en 1945 en même temps que la Sécurité sociale subit la crise de ses deux composantes principales, la médecine libérale et l’hôpital public. D’un coté, la médecine libérale répond de plus en plus mal comme « premier recours » au plus près de la population ; de l’autre, l’hôpital asphyxié par l’austérité budgétaire et transformé en entreprise ne parvient plus à remplir ses missions, l’épidémie de grippe hivernale vient encore de le démontrer.

 

La médecine de ville au péril de l’exercice libéral

En France, la grande majorité des soins dispensés « en ville » le sont par des professionnels libéraux, en particulier médecins généralistes et spécialistes. Ce modèle fonctionne de plus en plus mal.

Faute d’une présence médicale suffisante, l’accès aux soins devient problématique dans certains territoires. De véritables « déserts médicaux » se constituent où il y devient très difficile d’avoir un rendez-vous médical. C’est le cas de nombreuses régions rurales, mais aussi de banlieues des grandes villes.

La médecine générale payée « à l’acte » avec ses horaires épuisants et sa pratique solitaire, est peu attractive et nombre de cabinets ferment sans trouver de repreneur. 

La « liberté d’installation » chère à l’exercice libéral entraîne une répartition des médecins très inégale : aux « déserts médicaux » s’oppose une présence médicale très élevée dans les centres des grandes villes et dans des régions telles que la Côte d’Azur. On compte ainsi 798 médecins pour 100 000 habitants à Paris et 180 dans le département de l’Eure.

Les barrières financières liées à l’exercice libéral (ainsi qu’à l’avance des frais médicaux et aux « franchises ») sont un second obstacle majeur à l’accès aux soins. Le dépassement des tarifs de la Sécurité sociale est autorisé pour un quart des médecins, dits en « secteur 2 » (surtout des spécialistes ou des chirurgiens) ainsi que pour certains soins dentaires. Alors que ces dépassements sont dissuasifs pour les patients aux faibles revenus, il devient de plus en plus difficile de trouver, pour certaines spécialités, des médecins respectant les tarifs de la Sécurité sociale.

Les timides mesures prises par Marisol Touraine, d’incitation à l’installation dans les territoires sous-dotés en médecins ou d’encadrement des dépassements d’honoraires, ont eu une portée très limitée. Quant à l’instauration (partielle) du « tiers payant » qui permet au malade de ne pas faire l’avance des frais médicaux, elle se heurte toujours à une opposition résolue des professionnels libéraux.

 

L’hôpital public au risque du « management » et de l’austérité

Les carences de la médecine libérale dite de « premier recours » ne laisse d’autre solution à une partie des patients que de s’adresser au seul service public existant : l’Hôpital. L’afflux vers les services d’urgence et leur saturation en est la conséquence. Les passages y augmentent de 10 % par an. C’est en effet la seule porte d’entrée vers les soins quand la médecine de ville ne répond pas à la demande de soins. 

Mais la cure d’austérité imposée à l’hôpital par les gouvernements successifs ainsi que les nouvelles méthodes de gestion hospitalière mettent les hôpitaux publics dans l’impossibilité de faire face. Les lois Bachelot et Touraine ont accéléré les regroupements de structures hospitalières. Les fermetures d’hôpitaux de proximité se sont multipliées. A la disparition de la médecine de ville, s’ajoute, sur les mêmes territoires, celle de structures hospitalières proches du domicile, laissant la population sans réponse sanitaire. 

L’hôpital fonctionnant désormais sur le modèle de l’entreprise, les critères d’une bonne gestion sont le « taux d’occupation des lits », qui doit s’approcher des 100 %, ou la « durée moyenne de séjour », qui doit être la plus courte possible. Des lits inoccupés ou des séjours trop longs conduisent en effet à pénaliser l’établissement sur le plan budgétaire. Les cas où les patients sont renvoyés chez eux sans réelle solution pour la suite de leurs soins se multiplient.

Les exigences de gestion entrent directement en contradiction avec celle d’un service public, assurant des soins de qualité et susceptible de faire face à des événements imprévus, « non programmés », activités par définition « non rentables ». 

C’est néanmoins sur l’hôpital, sans financement suffisant, que repose l’essentiel des missions de service public. C’est lui qui assure 90 % des gardes et l’essentiel des urgences, missions que le secteur privé commercial réduit au strict minimum.

L’hôpital est mis en concurrence avec ce secteur privé commercial dont la logique est le profit maximum. Autrefois propriétés de quelques médecins et chirurgiens, les cliniques sont désormais aux mains de groupes d’hospitalisation privés adossés soit à des groupes internationaux, soit à des institutions financières (fonds de pension, fonds souverains) dont l’unique préoccupation est l’importance des dividendes servis aux actionnaires.

Il va de soi que ces groupes privés sélectionnent les activités et les pathologies les plus profitables, en laissant à l’hôpital les missions de service public et les patients dont la « rentabilité » n’est pas garantie (personnes âgées avec de multiples pathologies, par exemple).

L’hôpital public conserve néanmoins une place centrale dans le système de santé. (62 % des lits et 57 % des places d’hospitalisation à temps partiel), bien que sa part dans les dépenses de santé ait fortement diminué (36 % en 2010 contre 43 % en 1983) C’est à cette place de l’hôpital public qu’entendent désormais s’attaquer les contre-réformes.

Pour la droite comme pour la gauche gouvernementale, il n’est pas question de donner à l’hôpital les moyens de son fonctionnement. Il faut au contraire réduire son activité et ses missions pour les ajuster à des moyens de plus en plus restreints.

 

Le « virage ambulatoire », ou comment un tournant peut en cacher un autre 

Pour justifier une réorganisation de l’ensemble du système de santé, les défenseurs de ce qui est qualifié de « virage ambulatoire », c’est-à-dire le déplacement des soins hors de l’hôpital, mettent en avant des évolutions réelles qui doivent être prises en compte. Les progrès médicaux et technologiques permettent désormais de réduire la durée de nombreux séjours dans un établissement hospitalier. Il devient même possible, avec la « chirurgie ambulatoire », à un patient de rentrer chez lui le jour-même de son opération.

Cependant, l’explosion des maladies chroniques (diabète, cancers, pathologies psychiatriques, affections cardiaques…), qui touchent aujourd’hui dix millions de personnes, en particulier âgées, nécessite une continuité, un suivi de la prise en charge et une véritable coordination des soins dans et hors hôpital. L’hospitalisation n’est qu’un moment du soin. Ces évolutions plaident en faveur d’une transformation du service public. Moins que jamais, il ne saurait se cantonner aux murs de l’hôpital.

Ce n’est pourtant pas de cela qu’il est question avec le « virage ambulatoire » en cours. Son but n’est pas l’adaptation du service public, mais son démantèlement au profit du secteur privé.

Le sens réel du « virage ambulatoire » est parfaitement illustré par le sort réservé à la psychiatrie  publique. Sous l’impulsion de psychiatres progressistes, celle-ci avait effectué, à partir de 1960 un véritable tournant. L’hôpital psychiatrique a ainsi cessé d’être l’unique lieu de soins. Un dispositif public et gratuit permettant la prévention, le soin, le suivi des patients dans la durée s’est mis en place. C’est la psychiatrie publique dite « de secteur ».

Une même équipe de soins a été mise au service de la population, sur un territoire de 60 000 habitants, travaillant à la fois dans et hors de hôpital (dans des lieux de soins et de consultation implantés au plus près de la population ou au domicile). Le centre de ce dispositif était le centre de soin dans la ville, l’hôpital n’étant qu’un recours pour les situations de crise.

Cette expérience aurait pu servir de modèle à un « virage ambulatoire » de service public. Mais la psychiatrie de secteur est au contraire en cours de démantèlement par ceux-là mêmes qui dénoncent le « tout hôpital ». Les lieux de soins hors hôpital (centre médico-psychologiques, hôpitaux de jour...) sont fermés ou regroupés et s’éloignent de la population. L’hôpital psychiatrique se replie dans ses murs, où les services sont à nouveau débordés.

L’un des objectifs majeurs du « virage ambulatoire » est de transférer au secteur de ville, libéral, des missions et des actes pris en charge par les structures hospitalières au prétexte d’en diminuer les coûts.

Il se complète du projet de mise en place des réseaux de soins privés concurrentiels, financés par les compagnies d’assurances (mutuelles ou assurances commerciales), dont les médecins libéraux seraient la porte d’entrée et les régulateurs. 

Ces réseaux recruteraient « leurs » spécialistes, travailleraient avec « leurs » cliniques privées et rembourseraient les soins en fonction de la police d’assurance souscrite. Quant à l’hôpital public, sa fonction se limiterait soit aux soins lourds et coûteux remboursés par la Sécurité sociale, soit à l’accueil des personnes qui n’auraient pas les moyens de s’assurer dans un réseau de soins.

C’est la perspective que tracent les propositions de Fillon, mais aussi celle que prépare la loi Touraine qui abolit toute distinction entre les assurances et la Sécurité sociale. C’est enfin, et cela ne surprendra pas, le sens du programme que le Medef vient d’adresser aux candidats à la présidentielle.

Quelle alternative ?

A cette perspective de privatisation du système de santé, qui abolirait le droit à se soigner en fonction de ses besoins, nous devons opposer la perspective d’une réponse globale d’un service public de santé, gratuit, intégralement financé par l’assurance maladie.

Cela passe par la fin de l’austérité qui frappe l’hôpital, des restructurations qui lui sont imposées, et par le maintien sur tout le territoire des hôpitaux de proximité (avec un service d’urgence, une maternité, un service de chirurgie).

Cela passe aussi par la fin de la « gestion d’entreprise » à l’hôpital (« nouvelle gouvernance », « tarification à l’activité »), aux exigences contradictoires avec celles des soins et du service public dont les missions doivent être maintenues et intégralement financées.

Il faut enfin que le service public s’étende hors de l’hôpital, par le développement d’un réseau de centres de santé implantés dans les villes et les quartiers, assurant gratuitement la prévention l’information, les consultations, et le suivi des patients, notamment dans le cas des maladies chroniques.

Ces centres pluridisciplinaires, fonctionnant 24 heures sur 24 et faciles d’accès pour la population, travailleraient en étroite liaison avec l’hôpital mais n’auraient recours à lui qu’en cas de besoin. Implantés dans le quartier, ils pourraient travailler sur les questions de santé avec l’ensemble des acteurs (professionnels de santé, travailleurs sociaux, associations, élus) et coordonner leur activité avec celle de la médecine du travail et de la médecine scolaire.

Des solutions partielles et provisoires pourraient être apportées par des mesures immédiates, telles que la fin du paiement à l’acte, remplacé par d’autres modes de rémunérations à débattre avec les professionnels de santé (salariat, capitation...) ; la suppression du numérus clausus pour les études médicales ; la gratuité des études et l’attribution d’un salaire pendant toute leur durée, en contrepartie d’un engagement de même durée à servir dans les secteurs prioritaires ; l’interdiction de toute forme de dépassement d’honoraires ; la généralisation du tiers-payant sous le contrôle de la Sécurité sociale.

Mais seule la perspective, décrite plus haut, d’un service public de santé global sera en mesure d’apporter des solutions durables à la crise actuelle. Un tel choix suppose de rompre avec les politiques d’austérité et la privatisation du système de santé, en plaçant la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux avant les profits de quelques-uns.

 

Jean-Claude Laumonier