Publié le Vendredi 3 février 2012 à 11h09.

Peut-on changer la société dans les institutions ?

 

Les institutions françaises sont malades. Elles participent même au mouvement général de dessaisissement qui vide la démocratie représentative de son contenu, car la réalité du pouvoir s’exerce loin du peuple dans les gouvernements, les institutions internationales ou continentales non élues, les banques et les conseils d’administration des grandes firmes capitalistes.

Avec un chômage massif, une précarité des conditions de vie qui s’étend à l’ensemble du monde du travail et à différentes classes d’âge, l’abstention record sanctionne à chaque élection des institutions qui ne représentent pas la société et qui ont aggravé la coupure entre le monde politique et le reste de la population.

La rupture avec le capitalisme est une nécessité sociale et écologique. Elle s’accompagnera d’une rupture démocratique : elle ne pourra faire l’économie d’une abrogation des institutions de la ve République, d’une abolition du régime présidentiel et celle du Sénat. Une telle rupture implique un haut niveau de mobilisation et d’organisation : le surgissement du peuple pour revendiquer l’élection d’une assemblée constituante à la proportionnelle intégrale afin de définir les voies et les moyens d’un système émancipateur permettant l’intervention de la population et du monde du travail dans les affaires publiques.

Anticapitalistes et institutions

Dans une perspective de révolution socialiste surtout dans les pays à forte tradition parlementaire, participer aux élections et y avoir des éluEs est une nécessité. Les éluEs peuvent et doivent constituer des points d’appui pour défendre les intérêts des classes populaires, les droits démocratiques, le respect de l’environnement et pour les mobilisations. C’est pour cela que le NPA se présente aux élections.

Mais la question qui nous est posée est de savoir jusqu’où nous pouvons aller dans le sens d’une présence « institutionnelle » tout en continuant à marquer le refus global du système.

Nous ne pouvons évidemment traiter toutes les institutions sur le même plan. Le niveau gouvernemental est particulier. Il implique la gestion globale de l’économie capitaliste, de l’État et de l’insertion capitaliste-impérialiste internationale. Aucune collaboration de classe dans ce cadre n’est envisageable et donc aucune participation. Nous opposons à toutes les formes de gouvernement de collaboration de classes la proposition d’un gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Car nous ne sommes évidemment pas contre constituer un gouvernement aussi fidèle à la défense de la majorité de la population que Sarkozy est fidèle à « ses amis les riches », un gouvernement qui romprait avec le capitalisme.

Le cas des municipalités est différent et peut poser également la question de la gestion. Dans le cadre restreint de l’autonomie qui est la sienne, peut-on lutter pour y faire une vie meilleure pour les masses ? Cela signifie l’élaboration de programmes de gestion locaux, de cadre d’alliances pour ce faire et d’une discussion sur les modalités de partage du pouvoir avec les masses, comme du contrôle de leur part (salaires des élus, non-cumul, etc.). Mais il y a des risques, c’est sûr. Là comme ailleurs se manifeste l’immense capacité du capitalisme à intégrer le mouvement ouvrier, comme en général toutes les contestations, mêmes initialement les plus radicales. S’il ne peut pas les détruire, il les détourne puis les intègre. C’est pourquoi non seulement il faut toujours garder notre indépendance, faire en sorte que l’appui institutionnel n’élimine jamais l’importance des luttes, mais que, au contraire, leur intervention trouve toujours son centre de gravité dans ces luttes et les mouvements sociaux.

D’autant qu’il faut compter avec l’évolution, très négative, des conditions où ceci serait possible. Tant qu’on en reste à l’éluE comme déléguéE du personnel, il n’y a guère de problèmes. Si on doit passer à des responsabilités de gestion, c’est une autre histoire. Encore une fois, tout ceci dépend de la taille de l’institution. Mais il faut tenir compte que la crise de la démocratie se développe. Une de ses caractéristiques est de réduire les marges de manœuvre locales et ainsi diminuer l’espace où l’on pouvait mener légalement des politiques alternatives. Certes on peut encore « faire des choses ». C’est souvent difficile, mais il ne faut pas le poser comme impossible théoriquement. Cela dit cette posture se heurte à une réalité incontournable : dans les conditions des scrutins en France, il est en général impossible d’accéder à la gestion sans accord avec le Parti socialiste.

Pas de transformation politique et sociale par les urnes

Nous pouvons donc, avec une certaine limite, participer aux institutions. Mais ce que montrent la nature et le fonctionnement des ces institutions capitalistes, c’est qu’« elles ne sont pas neutres ». Elles sont non seulement moulées et marquées par les classes dominantes – il n’y a qu’à voir le type de personnel politique qui y domine – mais même par définition elles sont subordonnées au marché. Par ailleurs, les partis politiques se donnant comme objectif la gestion de l’État et des institutions, non seulement abandonnent les objectifs sociaux dont ils se réclamaient, mais cherchent eux-mêmes à étouffer la voix des exploitéEs et des oppriméEs et tournent le dos à leurs exigences. De ce constat peut naître évidemment l’idée que le pouvoir corrompt et pervertit. Et c’est vrai lorsque le but de l’action politique se résume à occuper et à garder des postes de gestion institutionnelle. Il y a là pour nous, une spécificité, c’est qu’à la différence de tous les autres partis, nous ne luttons pas pour « prendre le pouvoir pour notre parti » mais pour que l’auto-organisation des travailleurs et de la population – assemblées, conseils, comités – prenne le pouvoir. C’est cette conception qui doit nous conduire à prendre très au sérieux notre activité électorale mais aussi à la subordonner à notre intervention générale à la lutte de classes.

C’est pour toutes ces raisons que nous rejetons l’idée « de la révolution par les urnes » de Jean-Luc Mélenchon. Comment des institutions aussi marquées socialement pourraient accepter une révolution, être au service d’une transformation politique et sociale ? Toutes les révolutions ont montré qu’elles s’étaient heurtées à l’État et ses institutions. Parce que ces dernières s’appuient sur la propriété privée du capital et des grands moyens de production et qu’elles sont au service des classes dirigeantes, elles ne peuvent donc servir d’instrument pour renverser ce système. Pour ce faire, il faudra une mobilisation majoritaire et plus que ça encore : une véritable confrontation avec la bourgeoisie et son État. Par ailleurs, si on regarde un peu en arrière, on s’aperçoit que tous les grands progrès sociaux ont été acquis dans les luttes et non par les urnes, que ce soit en 1936 avec le Front populaire, à la Libération ou en 1968.

Démocratie, institutions…ce que le NPA défend

Originellement, la démocratie c’est « le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple ». Or l’accusation principale que nous lançons contre la démocratie bourgeoise, c’est que, précisément, l’ensemble des choix politiques, sociaux et économiques échappent à la volonté populaire. Fondée sur la propriété privée et l’exploitation capitaliste, liée à une structure de classes spécifique de la société bourgeoise, la démocratie actuelle ne peut y être que limitée. Les objectifs, les priorités, les besoins de notre société sont décidés, non par les institutions de la « démocratie » (gouvernement, Parlement, municipalités...) mais par le marché. Ces décisions sont prises par une poignée de grands patrons et financiers qui dominent le marché et ne rendent compte qu’à leurs actionnaires. Notre conception de la démocratie passe par la rupture avec ces règles du jeu pour intégrer l’ensemble des activités sociales, économiques dans le champ de décision de toutes les assemblées élues. Les assemblées élues doivent pouvoir légiférer sur l’ensemble des priorités économiques. Elles doivent, si elles le jugent bon, pouvoir interdire des licenciements, procéder à des mesures d’urgence sociale, augmenter les salaires, peser sur telle ou telle restructuration économique.

Cette démocratie intégrale exige de remettre en cause le sacro-saint droit de propriété et le contrôle absolu du patronat sur l’économie, bref de s’acheminer vers l’appropriation publique et sociale des principales activités économiques, pour mieux les contrôler et les maîtriser. La démocratie jusqu’au bout ou réalisée est anticapitaliste.

Une révolution démocratique se débarrasserait également de la vieille machinerie d’État, en inventant de nouvelles institutions qui permettrait enfin « un gouvernement du peuple, par le peuple lui-même ». Les institutions actuelles ont été vidées de leur substance par la toute-puissance du marché. Il faut donc une rupture et un nouveau projet et en premier lieu en finir avec le présidentialisme qui cristallise les dérives du système : personnalisation excessive du pouvoir ; pouvoirs exorbitants dans les mains d’un seul individu renforcé par son impunité judiciaire.

La démocratie que nous défendons s’organiserait autour d’assemblées nationales, régionales et locales élues au suffrage universel et à la proportionnelle. Elles décideraient des grandes orientations et des priorités pour le pays, la région ou la commune. Par ailleurs, dans tous les quartiers et lieux de travail, des conseils seraient élus au suffrage universel. Ces assemblées respecteraient la parité homme-femme. Tous les conseils seraient placés sous le contrôle permanent de la population. Celle-ci participerait régulièrement à des réunions, des assemblées ou des commissions pour discuter de la gestion de l’entreprise ou de la cité. La pratique des référendums d’initiative populaire serait largement appliquée. Dans tous les cas, les responsables devraient être élus au suffrage universel.

Les grands choix en termes de priorités et d’équilibre de développement seraient opérés de manière globale. De leur côté, les conseils ou assemblées de commune ou de lieu de travail détermineraient leurs propres besoins. L’ensemble de ces choix seraient ensuite harmonisés dans le cadre du débat démocratique entre les différentes assemblées. Toutes les décisions seraient ainsi prises souverainement par les conseils ou assemblées de communes et de lieu de travail. Et si des conflits de pouvoir en venaient à opposer des assemblées entre elles, ce serait au peuple souverain de trancher par référendum ou au suffrage universel. En un mot, cette démocratie ne fonctionnerait plus du haut vers le bas, mais bien du bas vers le haut, autrement dit dans le bons sens.

La politique ne serait plus l’affaire de quelques professionnels. Les éluEs seraient révocables, le cumul des mandats interdit, le revenu des éluEs équivalent au salaire moyen de la population.

Une vraie démocratie anticapitaliste ne signifie pas une restriction mais un élargissement sans précédent des droits démocratiques : la garantie du pluralisme politique, le suffrage universel, la représentation des minorités.

Sandra Demarcq