Publié le Jeudi 18 août 2016 à 11h37.

CGT : un recentrage à gauche ?

Ces dernières années, des contradictions de tout type se sont multipliées dans la CGT. A la faveur de la mobilisation contre la loi Travail, la pression de ses équipes militantes combatives, attachées à une lutte de classe, a été forte sur la direction confédérale…

Depuis des semaines gouvernement et patronat, lourdement accompagnés par les médias, pilonnent la CGT et plus particulièrement son secrétaire général, Philippe Martinez. Quelques mois en arrière, aucun militant n’aurait pourtant envisagé qu’une mobilisation de plus de quatre mois contre un projet gouvernemental trouverait à sa tête une intersyndicale animée par la CGT. Le contraste est grand avec une confédération au bord de la crise de nerfs quand Thierry Lepaon, en janvier 2015, était contraint à la démission.

 

Aux origines des crises

Les difficultés auxquelles la CGT fait face partent des évolutions du système économique, des mutations de l’organisation de la production et des échanges, en lien avec les profonds changements technologiques. La spécificité de la CGT réside dans ses rapports au PCF : la politique longtemps imposée par ce parti, à travers sa mainmise organisationnelle, a provoqué une profonde stérilisation bureaucratique, aux lourdes conséquences sur la capacité de la CGT à prendre en compte les évolutions économiques, sociales et sociétales.

Confrontée à la grève générale de Mai 68 avec pour cadre politique la stratégie du PCF, faite d’unité des partis de gauche et d’encadrement des mobilisations ouvrières, la CGT a alors été perçue, par une large frange de travailleurs, au mieux comme n’ayant pas été à l’avant-garde de la mobilisation, au pire comme ayant fait beaucoup pour son échec avec son refus de la centralisation, de l’auto organisation, de la « politisation » du mouvement, ainsi que la mise en place d’un cordon sanitaire autour de la jeunesse et des « gauchistes ». 

Cette attitude a eu pour résultat une faible progression des effectifs. Après juin 1936, la CGT avait progressé en un an de 785 278 à 3 958 825 adhérents. En passant de 1 400 000 adhérents en 1967 à 1 870 000 en 1969, la CGT a tout juste compensé l’érosion des vingt années précédentes. Celles et ceux qui ont rejoint ses rangs puis accédé aux postes de responsabilité étaient représentatifs de la ligne sectaire et temporisatrice suivie dans la foulée de Mai-juin 68. C’est l’appareil qui s’est développé, avec des militants de plus en plus coupés des salariés et des mobilisations. 

Après Mai 68, la bourgeoisie s’est appuyée sur les bouleversements de l’appareil productif pour déstabiliser en profondeur le mouvement ouvrier et notamment sa structuration syndicale . Le développement du chômage de masse et de la précarisation de l’emploi a pesé sur la combativité ouvrière et sur l’influence des syndicats. Dans un cadre d’individualisation et de judiciarisation des ripostes, leurs effectifs ont chuté de 25 % des salariés en 1975 à moins de 10 % à la fin des années 1980.

L’engagement de la CGT aux côtés du PCF dans la politique d’Union de la gauche puis de gauche plurielle l’a conduite à casser les luttes au nom de la responsabilité gouvernementale. En 1981, passés les premiers mois et quelques mesures attendues d’un gouvernement de gauche, vint le temps des désillusions : désindexation des salaires par rapport à l’inflation, accompagnement des restructurations, mise en cause de la hiérarchie des normes.

La CGT est passée de 1 380 000 membres en 1980 à 639 000 à la veille du mouvement de novembre-décembre 1995.  Le gouvernement a cherché à marginaliser le syndicalisme « de classe » pour passer à un syndicalisme de « dialogue social » : multiplication des négociations, des réunions de concertation. La chute du mur de Berlin, les déboires électoraux du PCF ont accéléré la démoralisation des militants les plus engagés, tandis que la prise de distance avec le PCF a débouché sur une perte de tout repère politique. La baisse des résultats aux élections syndicales et la réduction des équipes militantes étaient telles qu’un texte du congrès de 1992, l’année où la « forteresse ouvrière » de Billancourt a fermé ses portes, expliquait que « l’existence même de la CGT est en jeu ». 

Viannet, secrétaire général en 1992, a recherché les voies d’un renouveau de la CGT, par un recentrage qui ne disait évidemment pas son nom, sous l’impulsion des « modernistes » notamment en responsabilité à l’UGICT (Union générale interprofessionnelle CGT des cadres et techniciens). La mise en place des 35 heures a engagé la CGT dans la voie d’un compromis, réduction du temps de travail contre annualisation. Outre des débats parfois houleux en interne, leur mise en œuvre a souvent renforcé les doutes sur l’action syndicale. L’intensification du travail et de sa pénibilité, le quasi blocage des salaires ont laissé un goût amer dans un contexte où des négociations souvent complexes prenaient le pas sur les mobilisations.

 

Changement de paradigme

En fait, c’est toute la construction politique CGT-PCF qui était remise en cause. Celle-ci reposait sur le gain de positions de cogestion dans l’appareil d’État, notamment dans ses prolongations industrielles (secteur nationalisé dans l’automobile, la sidérurgie, l’énergie…) et bancaires, ainsi que dans l’ensemble de la fonction publique. Ces implantations permettaient d’assurer une grande partie de l’assise financière de la confédération à travers les multiples strates de négociation, les délégations offertes aux militants et différentes sources de financement (comités d’entreprises, subventions directes, locaux, équipements divers). Elles étaient censées faciliter la mise oeuvre d’une politique de démocratisation de l’Etat et de la production, inscrite dans le programme du PCF.

L’accompagnement de la privatisation d’EDF-GDF a été emblématique de cette orientation1. Dans un secteur économiquement décisif, la direction de l’un des bastions de la CGT s’est complètement engagée en faveur de la privatisation, contre la majorité des salariés. Cette liquidation du secteur public s’est poursuivie, sous l’impulsion du gouvernement et avec le soutien du PCF, à travers les « ouvertures du capital » que les syndicats CGT concernés ont cautionnées ou face auxquelles ils n’ont que peu réagi. Air France, les Postes et télécommunications, les banques, la sidérurgie, Renault, etc., autant de changements de statut dont l’une des conséquences a été l’affaiblissement des syndicats CGT. 

Parallèlement, la direction confédérale a engagé une réorganisation des structures. Cela a été le temps des changements de noms, de la mise en place de commissions pour élaborer les positions des organisations en lieu et place de structures élues, des appels systématiques aux experts, de la multiplication des commandes de sondages. L’intégration dans la Fédération européenne de la métallurgie puis dans la Confédération européenne des syndicats a encore augmenté le nombre des experts, économistes, spécialistes des questions internationales coupés de tout lien avec les structures, sans parler de la base.

Cette réorganisation a suscité de nombreuses oppositions. La modification du système de cotisation a mis plusieurs années à être opérationnelle. La réorganisation des structures qui prévoit la suppression et le regroupement de nombreuses fédérations, la mise sous tutelle des UL voire des UD coiffées d’autres structures, toujours reportée, constitue un véritable serpent de mer des débats internes.

Au total, parfaitement alignée sur les orientations du PCF, la CGT n’a donné que des mauvaises réponses aux transformations à marche forcée initiées par la bourgeoisie2.

 

De la crise à la guerre ouverte

L’ensemble de ces résistances s’est cristallisé dans l’imposition du vote Non au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen. Dans ces « années Thibault », la CGT est restée en recherche d’une stratégie. Malgré l’échec des mobilisations sur les retraites, la Sécurité sociale et les régimes spéciaux, la stratégie du syndicalisme rassemblé n’a pas été remise en cause. Pire, la victoire de Sarkozy en 2007, théorisée comme un recul durable des forces politiques de gauche, déboucha sur une prise de distance encore plus nette avec « le politique ». Pour Thibault à cette époque, « nous ne sommes ni dans l’opposition, ni dans l’accompagnement, nous jugerons aux actes ». Prétextant la dégradation du rapport de forces, la direction confédérale a alors engagé la CGT dans la logique des diagnostics partagés et des solutions communes face à un gouvernement à l’offensive.

L’accord CGT-CFDT  de 2008 sur la représentativité illustrait à la fois la volonté de concertation avec le gouvernement et l’engagement sur la voie d’un syndicalisme de représentation, centralisé bureaucratiquement et s’éloignant toujours plus de l’entreprise et des luttes, avec la signature de multiples accords nationaux : sur la formation professionnelle, l’égalité hommes/femmes, le stress au travail.

Mais la succession de Bernard Thibault a révélé au grand jour les multiples contradictions et motifs de crises qui traversaient la CGT. Contrairement à de nombreux commentaires, cette crise n’a pas été une affaire de personnes mais la réfraction de fractures profondes présentes dans la CGT, ainsi que des difficultés rencontrées par la centrale dans les luttes, dans son fonctionnement et dans son rapport aux salariés.

Souvent évoqués, la volonté de féminisation de la représentation de la CGT, ou le passif accumulé entre Thibault et Aubin (responsable d’une fédération de la construction qui s’était opposée à la direction confédérale) sont des explications marginales au regard des positionnements de fond que représentaient chacun des postulants. Des questions qui, auparavant, se réglaient en amont au sein du PCF se retrouvaient désormais sur la place publique, en raison de l’effacement de la fraction liée au PCF dont l’hégémonie était contestée par des courants proches du PS, à travers un réseau de commissions et d’experts ne rendant aucun compte aux instances régulières de la confédération.

Lepaon apparaissait alors comme le moins gênant, le moins intrusif, pour les structures souhaitant conserver leurs marges de manœuvres tant organisationnelles que politiques. Leurs préoccupations politiques pouvaient être très différentes. D’un côté les « traditionalistes » (fédés chimie, agro, bâtiment, ports et docks, etc.) qui pouvaient être encore adhérentes de la Fédération syndicale mondiale (FSM)3, avec un fonctionnement largement inspiré des anciennes méthodes « staliniennes », mais qui peuvent aussi être porteuses d’une vraie combativité que l’on retrouve par exemple chez Goodyear. De l’autre, les structures qualifiées souvent de manière péjorative de « modernistes » (fonction publique), affichant une volonté d’un fonctionnement plus démocratique, une ouverture aux « politiques » et aux associatifs. De nombreuses UD sont également impactées par ces divisions et surtout par la menace qui reste suspendue au-dessus d’elles d’un chapeautage » par des structures mises en place par la confédération et que celle-ci contrôlerait. 

 

Changer la tête pour ne rien changer ?

Mais la neutralité supposée de Lepaon s’est rapidement effacée devant la politique qu’il impulsait. Son goût affirmé pour le dialogue social, forgé par un passage au CESE (Conseil économique, social et environnemental), son autoritarisme d’autant moins toléré qu’il n’avait pas l’autorité morale de Thibault, ont unifié une opposition hétéroclite mêlant critique du dialogue social, exigences démocratiques et unité d’action avec partis et associations.

Les « affaires » censées ne renvoyer qu’au dérapage d’une personne révélaient en fait des modes de fonctionnement largement partagés et auraient pu conduire à engager une réelle réflexion, dans la transparence, sur le financement et la gestion de la confédération. La simple éventualité que soient abordées les questions du financement ou de gestion de la centrale a cependant semé la terreur dans l’ensemble d’un appareil qui, faisant taire ses divergences, a rapidement pris les moyens de mettre fin au déballage. Au total, ces dossiers seront vite refermés, Lepaon rapidement quasi amnistié – et bientôt reclassé.

Le remplacement de Lepaon par Philippe Martinez n’a résolu aucune des questions posées à et dans la CGT. Les manœuvres au sommet de l’appareil ont fait que cette succession est apparue comme un nouveau replâtrage. La volonté de ne rien changer s’est confirmée au cours des mois suivant la mise en place de la nouvelle équipe. Cela a suscité un malaise d’autant plus vif que, face à l’amplification des attaques menées par le gouvernement, l’organisation des ripostes était franchement en retrait. Au prétexte de la recherche de l’unité syndicale, de prétendues avancées sur les TPE-PME dans la loi Rebsamen, les ripostes ont été plus que timorées, y compris contre la loi Macron. Le flottement, menant finalement à la non-participation, face à la conférence sociale d’octobre 2015 a illustré ces tergiversations. Les hésitations par rapport à un président et un gouvernement de gauche, à la mise en place desquels la CGT avait fortement contribué, demeuraient, quoique de plus ou plus contestées en interne. Dans le même temps, à travers ses 2 000 rencontres avec les syndicats, le nouveau secrétaire général s’efforçait d’asseoir son autorité  dans un dédale d’appareils défendant leurs propres prérogatives.

Dans les mois qui ont précédé le 51e congrès (du 18 au 22 avril 2016), cette politique a été au centre des échecs de mobilisations comme celles du secteur hospitalier contre la Loi Hirsch-Touraine, ou de Radio France contre le plan Gallet. Le syndicalisme rassemblé, le refus d’un affrontement avec le gouvernement constituaient la panoplie d’équipes syndicales en quête de stratégie gagnante avec une direction confédérale dont la principale qualité était la discrétion. Les congrès de plusieurs fédérations (commerce, transport, santé) et UD ont donné lieu à des affrontements importants. Si, comme dans la fédération santé, les exigences démocratiques occupaient souvent une place importante, les critiques de l’orientation des directions étaient rarement explicites et débouchaient encore moins sur une nouvelle stratégie de lutte.

 

Un congrès  au coeur de la mobilisation…

Dans ce contexte, la préparation du 51e congrès est longtemps restée peu visible. Si les « grands congrès » laissent souvent indifférents la majorité des adhérents, c’est l’occasion pour les directions de montrer qu’elles sont représentatives de leurs bases, que la démocratie règne et que la CGT est bien le syndicat qui défend les intérêts des travailleurs. Cela nécessite une préparation minutieuse dans laquelle les débats de fond sont pratiquement absents et où le « filtrage » des délégués est la règle. Ce congrès a ainsi vu se mettre en place un double filtrage des délégations : par la structure professionnelle, et par la structure géographique et interprofessionnelle. De plus, les critères « sociologiques » viennent sérieusement multiplier les obstacles avec l’imposition de quotas pour les jeunes, les femmes, les techniciens, ainsi que l’objectif d’une couverture du territoire et des différents types d’entreprises.

Mais la mobilisation contre la loi El Khomri engagée dans les semaines précédentes a bouleversé le déroulement du congrès. En effet, si cette mobilisation a véritablement commencé en dehors d’une initiative syndicale en général, et CGT en particulier, son développement massif et rapide a imposé une tout autre feuille de route que celle esquissée au départ. 

Tout avait commencé avec la calamiteuse déclaration intersyndicale, unitaire, du 23 février 2016, qui n’exigeait pas le retrait du projet de loi et plaçait quasiment sur un pied d’égalité l’unité pour ne rien faire avec la CFDT et une unité plus combative avec le front des « sept » organisations qui maintient la mobilisation jusqu’à ce jour. Devant l’ampleur prise par la pétition sur internet, et sous la pression des structures déjà engagées dans la mobilisation, la direction confédérale a corrigé le tir dès la manifestation du 9 mars, en acceptant la convergence des rassemblements de l’intersyndicale du matin avec celui des « jeunes » l’après-midi. Et la prise en charge de la mobilisation par de nombreuses structures CGT, notamment interprofessionnelles, l’a obligée à maintenir ce cap. 

 

… Et du coup, animé

C’est dans la foulée des grandes manifestations du 31 mars que le congrès confédéral s’est ouvert. Dès son introduction, Martinez a donné le ton d’une radicalité assumée. Cette posture a permis d’éviter les critiques qui auraient pu pointer une réelle mollesse de ses premiers mois de la mandature. Et ceci, d’autant plus que les médias s’étaient fait un devoir de surexposer la radicalité des luttes, en s’appuyant d’abord sur des exemples de violences cégétistes : la chemise du DRH d’Air France et les 36 heures de séquestration de deux cadres de Goodyear. Mais l’emballement se produisit autour de l’affiche du syndicat Infocom, osant figurer la police à côté d’une flaque de sang. Malgré tout, le vote sur le rapport d’activité a mis en évidence une grogne alimentée par les séquelles de l’affaire Lepaon avec un niveau inédit de contre (31 %) et 13 % d’abstentions.  

Le congrès est resté dans un entre-deux mêlant radicalité et confusion, combinant la réactivation du sentiment de « forteresse assiégée » et les difficultés bien réelles dans la mobilisation. Même si les fins d’interventions les plus combatives étaient saluées par des « tous ensemble, tous ensemble, non à la loi El Khomri » et  « tous ensemble, tous ensemble, grève générale ». La résolution sur le mouvement contre la loi El Khomri comporte des ambiguïtés. Malgré plusieurs interventions visant à le « gauchir », le texte n’appelait à la grève interprofessionnelle que pour le 28 avril, en mettant la reconduction en débat dans des AG de salariés. Largement voté à main levée, ce texte a été présenté par la « grande presse » comme un durcissement, un « gauchissement » de la CGT.

D’un autre coté, la multiplication des interventions contre le « syndicalisme rassemblé », pourtant mis en cause dès l’intervention initiale de Martinez, n’a débouché sur aucune modification. La radicalité affichée a malgré tout gardé ses distances avec les Goodyear, dont la présence au congrès n’était souhaitée qu’à sa marge, justifiant le refus de Mickael Wamen et des ses camarades d’apporter leur caution. Les deux derniers votes de ce congrès le résument le mieux : le document d’orientation n’était approuvé que par 62,77 % des congressistes, tandis que la nouvelle direction confédérale était élue avec 91 % de voix.

 

La lutte continue !

Forte de cette feuille de route de combat, la direction confédérale s’est retrouvée doublement contrainte de se maintenir au premier rang de la mobilisation. D’un coté, par un gouvernement muré dans son intransigeance, n’hésitant pas à utiliser toutes les armes pour discréditer, diviser le mouvement. De l’autre, par l’engagement de nombreuses équipes militantes bien décidées à régler les comptes, tous les comptes. Le maintien à un haut niveau, dans les sondages, du refus de la loi travail a conforté les militants dans leur engagement et maintenu la pression sur l’intersyndicale.

Reste à trouver les voies de la construction d’une victoire, dans un contexte où la mobilisation peinait à gagner en profondeur. Malgré une dénonciation des casseurs, la direction confédérale continue de faire porter l’entière responsabilité des « violences » sur le gouvernement et les ordres et consignes qu’il donne aux forces de l’« ordre ».

Faute de grève générale, la mobilisation a été portée par les équipes syndicales les plus décidées. Ce sont d’une part de nombreuses structures interprofessionnelles, unions locales des alentours de Marseille à ceux du Havre, unions départementales de la Seine-Maritime aux Bouches-du-Rhône ou de Paris à la Haute-Garonne qui portent, parfois à bout de bras, la mobilisation. Manifestations répétées, blocage de zones industrielles, portuaires ou de plateformes routières ont maintenu une ambiance de lutte, combative et radicale. L’occasion pour des équipes militantes, comme des militants isolés de se battre, de s’affronter au patronat, au gouvernement et... à ses flics.

Dans le même temps, la bataille est engagée par des structures plus « verticales ». La chimie au travers des raffineries, les ports et docks avec les dockers, les services publics avec des centres de traitement des déchets ont également permis la permanence de la mobilisation entre deux journées de grève et/ou de manifestations nationales. Tout ceci n’a pu se faire sans la caution voire l’impulsion de la direction confédérale, allant jusqu’à se frotter à la nébuleuse des Nuits debout. A contrario, l’attitude particulièrement frileuse, pour ne pas dire plus, de la CGT cheminote, illustre les marges de manœuvre que gardent de telles entités.

A l’approche des vacances, sous la violence des attaques gouvernementales et l’affaiblissement de la mobilisation, la direction confédérale semble rechercher une porte de sortie. D’abord avec la déclaration de Martinez, « je ne suis pas sûr que bloquer les supporters soit la meilleure image que l’on puisse donner de la CGT ». Ensuite et surtout, à travers les propositions faites lors de la rencontre avec El Khomri, qui tendent à accepter la logique de l’article 2 de la loi travail et l’inscription dans la logique gouvernementale de réécriture du code du travail. Des atermoiements mis en évidence par l’acceptation de la manifestation « statique » du 23 juin entre la Bastille et la Bastille...

 

Des enjeux renouvelés

Les difficultés de la CGT ne sont pas uniquement liées à sa préoccupation de sauvegarder la crédibilité  d’un appareil affaibli par la mise en cause de ses liens à l’appareil d’Etat. L’autre problème est l’affaiblissement militant, fait de baisse d’effectifs et d’absence de repères politiques même réformistes.

La radicalité affichée contre la loi travail, comme l’engagement de la CGT sur le terrain de la lutte contre les discriminations (sexistes, raciales, basées sur l’orientation sexuelle) ou contre la répression antisyndicale, ne doivent pas être négligés ni résumés à des simples calculs électoralistes ou de sauvegarde d’effectifs. Les conséquences en interne de la place prise dans la mobilisation par certaines fédérations et de nombreuses structures interprofessionnelles pourraient être importantes.

Plus que la lutte pour la première place dans la course à la représentativité, questions stratégiques et construction de l’organisation vont être au coeur des batailles dans les mois qui viennent.

 

Robert Pelletier 

  • 1. Lire à ce sujet « Une privatisation négociée. La CGT à l’épreuve de la modification du régime des retraites des agents d’EDF-GDF », Adrien Thomas, L’Harmattan Questions contemporaines, 2006.
  • 2. Une étude intéressante sur cette question, bien que centrée sur le PCF, est « Le Communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 70 » de Julian Mischi, Marseille, Éditions Agone, 2014.
  • 3. Fondée en 1945 sous direction stalinienne, la FSM est aujourd’hui présidée par un représentant du courant syndical du Parti communiste grec (KKE). La confédération CFT s’en est désaffiliée en 1985 mais certaines de ses fédérations en sont restées membres, la chimie y ayant même réadhéré.