Publié le Lundi 19 juillet 2010 à 14h27.

Baudelique : un an déjà...

Vazoumana Fofana est un jeune homme de 30 ans, titulaire d’un BTS en télécommunication obtenu en Côte d’Ivoire. Sans-papiers en France, il se débrouille, tout en suivant des cours de sciences économiques à la fac. Il est l’un des délégués de la CSP 75, un des collectifs du ministère de la Régularisation de tous les sans-papiers. Nous lui avons demandé où en était l’occupation rue Baudelique (Paris 18e) et comment il envisageait la suite de cette aventure. Il nous livre son analyse au bout d’un an d’occupation.Occuper, c’est toujours un acte de révolte. La décision d’investir les locaux de la CPAM1 en juillet 2009 a été une solution de repli après le départ du boulevard du Temple. Ce choix n’a pas fait l’unanimité, mais nous avons démocratiquement accepté la décision de la majorité. Ce faisant, nous ne tenions pas le deal passé avec la préfecture de quitter volontairement les lieux en échange du « traitement bienveillant » de 300 de nos dossiers, nous privant du coup de vérifier la véracité de cette promesse. Aujourd’hui, l’histoire se répète. À nouveau, la préfecture nous propose, à condition d’une évacuation volontaire, le même traitement bienveillant des 300 précédents dossiers, auxquels s’ajouteraient environ 300 autres, déterminés par nous-mêmes selon un système de listes. Cette fois-ci, nous allons mettre la préfecture à l’épreuve de tenir sa parole. Puisqu’elle fait de notre départ un préalable au traitement de nos dossiers, nous quittons la rue Baudelique, et cette décision sera effective le 7 août. Nous allons également tester sa conception de la souplesse dans l’appréciation des situations, dans la mesure où le critère des huit années de présence n’est pas abandonné. La préfecture ajoute qu’elle mettra un local à notre disposition pour nous servir de bureau où les sans-papiers pourront venir établir leur dossier et se faire aider dans leurs démarches. Laissons-la prendre ses responsabilités. Il sera toujours temps de réagir si les choses n’avancent pas.Je ne suis ni optimiste, ni défaitiste, mais ce que fera la préfecture reste un gros point d’interrogation. À elle de prouver la crédibilité de ses engagements. Baudelique a été un formidable moment où la solidarité s’est recréée tant entre les occupants qu’avec les soutiens. Les collectifs ont tenté de travailler ensemble dans le même sens. Des liens ont été retendus, de nouveaux se sont noués. La Marche sur Nice, au mois de mai, nous a montré à quel point notre lutte se popularisait, et ce grand élan d’enthousiasme qu’elle a suscité partout sur son passage nous donne de l’espoir. C’est cette dynamique que nous devons faire vivre pour continuer dans cette voie. Mais depuis deux ans, la fatigue se fait sentir, le moral est parfois très bas, des divergences peuvent surgir. Les collectifs étaient avec le temps, moins présents sur le site. Bien que pour nous, Africains, cette vie collective soit un mode de fonctionnement habituel, nous avons besoin de nous poser pour continuer ce combat, très dur, aux perspectives si lointaines. Le temps de la négociation est venu, et nous voulons l’aborder en pleine possession de nos forces, personnelles et militantes. Au niveau du collectif du 19e, nous avons pris l’initiative de contacter ce qui fut le comité de soutien aux sans-papiers de notre arrondissement, qui s’était mis en retrait après l’épisode de la Bourse du travail. Nous voulons retrouver nos soutiens « historiques », et mener avec eux ce combat pour la régularisation de tous les sans-papiers. Depuis l’élection de nouveaux délégués, une rencontre a déjà eu lieu et une autre est prévue à la rentrée.Le départ de Baudelique ne signifie pas la fin du mouvement. Nous allons le vivre au contraire comme une étape franchie, et dont nous devons intégrer les expériences.Jusqu’alors, la CSP75 bénéficiait d’un local dans le 19e ; mais la Coordination des intermittents, qui l’accueillait, se retrouve elle aussi menacée d’expulsion. Il va nous falloir envisager un nouveau lieu. Car nous restons vigilants et mobilisés. Nous continuerons à développer nos actions, à rester visibles et à faire entendre notre voix. Nous serons d’ailleurs présents à la manifestation du 13 juillet contre la Françafrique, et nous accueillerons le soir le bal anticolonial2, qui sera la conclusion à la fois festive et militante de cet épisode. 1. Caisse primaire d’assurance maladie.2. Le témoignage a été recueilli avant la manifestation.Propos recueillis par Gisèle Felhendler