Entretien. Depuis plusieurs années, Gisèle Felhendler est organisatrice de la semaine anticoloniale. Avec elle, nous revenons sur le bilan de la dernière édition qui vient de s’achever et les perspectives militantes de ces prochains mois.
Peux-tu nous rappeler l’origine et les principes de la semaine anticoloniale ?Né en réaction à la loi du 23 février 2005, qui énonçait en son article 4 les « aspects positifs de la colonisation », le réseau Sortir du colonialisme a installé depuis 10 ans ce rendez-vous militant, festival politico-culturel. La cinquantaine d’organisations qui le composent s’attachent à mettre en lien la mémoire et l’actualité du combat anticolonial en l’associant à une démarche de lutte contre les discriminations, le racisme et le fascisme : déconstruire les pratiques et représentations issues de la période coloniale, décoloniser les imaginaires.
Cette année, quels en furent les moments forts ?La Semaine, ouverte par la 3e édition du Colonial Tour sur le thème des crimes politiques à Paris, a connu une belle affluence. En témoigne le succès du Salon anticolonial, avec la participation de Malaak Shabaaz et de Bachir Ben Barka, réunis 50 ans après l’assassinat de leurs pères, des débats autour d’Exhibit B, de la gestion coloniale des quartiers populaires, ou encore de la présence militaire française en Afrique.La Palestine a encore été au cœur de notre engagement, entre autres lors d’une soirée pour les 10 ans de la campagne BDS avec Linah Alsaafin, journaliste palestinienne, et Julien Salingue.Plusieurs événements ont aussi inscrit cette édition dans le Black History Month : une soirée consacrée à l’afro-féminisme a notamment invité à allier analyse matérialiste et outil intersectionnel. Et le très nombreux public venu à cette initiative montre l’intérêt d’articuler, en évitant toute subordination, les luttes contre les discriminations de classe, de race et de genre.Cette année, l’accent a aussi été mis sur la dénonciation des crimes racistes et sécuritaires, en lien avec les collectifs de familles de victimes.Ces thématiques seront aussi développées lors de la première édition de la Semaine anticoloniale à Marseille (du 5 au 21 mars) qui s’ajoute à celle de Bordeaux. Le développement de nos initiatives en région semble s’étendre et se pérenniser grâce aux connexions avec les associations locales.
Que penser du niveau de mobilisation qu’a traduit la manifestation du 28 février, et quelles leçons en tirer par rapport à la perspective que représente la prochaine échéance du 21 mars ?La semaine s’est traditionnellement conclue par une marche solidaire des peuples en lutte. Après l’interdiction arbitraire de 2014 et malgré les vacances scolaires, nous étions environ un millier à défiler sous un mot d’ordre imposé par l’actualité et l’injonction à l’union sacrée : « Non à la guerre des civilisations ». Les cortèges Palestine, Sahara Occidental, Kanaky, ainsi que ceux des nombreux collectifs de sans-papiers, marquaient la perspective de solidarité internationaliste.L’arrivée autour d’une fresque réalisée par un collectif de graffeurs rendant hommage entre autres à la résistance au Rojava, territoire auto-administré du Kurdistan syrien, et à l’héritage de Thomas Sankara (voir photo), a permis de rester rassembléEs et de lui donner une réelle visibilité.Bien que conçue comme un événement en soi, la perspective de la manifestation antiraciste du 21 mars a permis d’envisager cette marche comme une étape vers cette mobilisation, et le nombre d’organisations signataires de l’une et de l’autre peut, sans optimisme démesuré, laisser espérer une participation massive, essentielle pour la (re)construction d’un front antiraciste.
À la lumière de cette quinzaine, sur quelles actions militantes penses-tu que Sortir du colonialisme devrait concentrer son action durant les prochains mois ?Au-delà de l’événementiel politico-culturel que représente la Semaine anticoloniale, Sortir du colonialisme se donne pour objectif de fédérer autour du travail anticolonial et antiraciste (deux dimensions indissociables, le racisme étant la matrice idéologique du colonialisme), de lutter contre les discriminations post-coloniales, la montée de l’islamophobie et de l’antisémitisme afin de ne pas tomber dans le piège des clivages orchestrés.
Propos recueillis par François Brun