Publié le Samedi 19 juillet 2025 à 15h00.

Le jardin et la jungle. Adresse à l’Europe sur l’idée qu’elle se fait du monde, d’Edwy Plenel

Éditions La Découverte, 2024, 216 pages, 18 euros.

Ce billant essai est un salutaire règlement de comptes avec l’Europe colonialiste dont l’idéologie arrogante est bien résumée par un discours de Josep Borrell, « socialiste » (PSOE d’Espagne), vice-président de la Commission européenne, à Bruges le 13 octobre 2022 : « L’Europe est un jardin, le reste du monde est une jungle qui peut envahir le jardin »

C’est le discours européen dominant, qui tourne le dos aux valeurs d’humanisme et d’universalité, et ouvre la porte au retour fracassant des idéologies meurtrières du passé, celles qui ont conduit aux guerres coloniales et au nazisme, responsable d’une guerre coloniale au sein de l’Europe. Et aujourd’hui, à l’aune de Gaza, où est le jardin et où est la jungle ? 

Faire front contre l’extrême droite et le colonialisme

La nouveauté de notre époque, constate amèrement Plenel, c’est que, malgré nos résistances, ce sont les adversaires les plus radicaux de la liberté — ceux que Aimé Césaire désignait comme « les assassins de l’aube » — qui ont le vent en poupe. Faire front contre l’extrême droite (j’aurais dit « le néofascisme ») est une exigence politique vitale. Il ne s’agit pas simplement d’une aggravation des politiques de la droite au pouvoir, mais d’une rupture historique : « Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’une sous-estimation du ­danger »

Face au silence complice de l’Europe au sujet de la guerre d’extermination d’Israël contre le peuple de Gaza, l’Afrique du Sud a sauvé, par sa plainte auprès de la Cour internationale de Justice, la promesse d’universalité sans frontières que les pouvoirs européens ont trahie. Les responsables pour ce crime — Netanyahou et ses alliés — sont ceux qui ont idéologiquement armé en novembre 1995 la main du meurtrier de Itzhak Rabin, prix Nobel de la Paix avec Yasser Arafat et Shimon Peres en 1994. 

Dans ce contexte, Plenel cite un document prophétique daté du le 22 septembre 1967, du Matzpen (« la boussole » en hébreu), un groupe israélien internationaliste : « L’occupation fera de nous des assassins et des assassinés [...] Sortons des territoires occupés maintenant »

Crise de l’accueil en Europe

La politique migratoire est un des signes les plus graves de la déshumanisation de l’Europe : la Méditerranée est devenue un immense cimetière. La vérité est que l’Europe ne vit pas une « crise migratoire » mais une crise de l’accueil. On assiste à un crescendo mortifère des politiques anti-migratoires et des rhétoriques xénophobes et racistes. Tout cela au nom de la protection de « l’identité européenne » — une ruse idéologique pour occulter les inégalités sociales, l’appropriation des richesses par une minorité. Ce sont des associations de solidarité avec les migrants, comme « Tous Migrants » de Briançon, ou le navire SOS Méditerranée, qui sauvent notre honneur d’EuropéenNEs : ce sont les « Justes des Nations » de notre époque.

Racisme et passé colonial

La France est un des pays européens au plus lourd passé colonial : 17 années ininterrompues de guerres coloniales, de l’Indochine à l’Algérie. Ce n’est pas un hasard si l’« Algérie française » est devenue le cri de ralliement de l’extrême droite vaincue en 1945. L’anticolonialisme a été longtemps tenu aux marges politiques, porté par des figures dissidentes et minoritaires, comme les surréalistes ou des grandes figures universalistes du Sud colonisé, comme Frantz Fanon et Aimé Césaire. 

La gauche, c’est-à-dire la SFIO, a activement participé à l’entreprise coloniale, comme le rappelle la biographie du « socialiste » Robert Lacoste, gouverneur de l’Algérie de 1956 à 1958. Ce passé colonial non liquidé nécrose le présent : il se paye aujourd’hui par l’essor de l’extrême droite, du racisme et d’idéologies meurtrières comme « le grand remplacement » énoncé par des Renaud Camus et autres Éric Zemmour. 

Dans sa conclusion, Edwy Plenel rend hommage à Elisée Reclus, le grand géographe libertaire, qui avait prévu, dès 1864, que l’homme — « ce nouvel Attila » — était en train de saccager la nature, d’appauvrir le sol et même de « gâter le climat ».

Ce qui fait la force de cet essai d’Edwy Plenel, c’est sa capacité à combiner la recherche historique avec l’indignation, en gardant toujours le cap sur ses valeurs : l’universalisme humaniste et l’égalité des droits.

Michael Löwy