Le 7 janvier 2021, à l’appel de directeurs de structures culturelles et de leurs syndicats, soutenus par une section CGT d’une salle rouennaise, 150 personnes se retrouvaient sur le parvis de l’Opéra de Rouen pour exiger un calendrier de réouverture des lieux culturels. C'est dans la foulée de ce rassemblement qu'un groupe composé de salariés du secteur, permanents, intermittents, syndiqués (CGT et Sud), non-syndiqués, mais aussi d'artistes-auteurs militant à Art en Grève, a appelé à une assemblée générale, indépendamment des directions et des patrons du secteur. Car dans la culture comme ailleurs, tout le monde n'est pas exactement « dans le même bateau », entre les « galériens » privés de salaire ou de revenus, les précaires licenciés ou menacés de la perte de leurs droits, et les « capitaines » directeurs de salle, de festival, patrons de l’événementiel ou poids-lourds du show-biz... les intérêts ne sont pas les mêmes. Et notamment lorsqu'il s'agit de la revendication autour de la « réouverture »... Ré-ouvrir, oui, mais pas à n'importe quel prix, et surtout pas au détriment de la santé des travailleurs et travailleuses ni avec des conditions de travail dégradées, sous la pression du « travailler pour ne pas mourir ».
Le secteur culturel a du mal à se reconnaître dans les problématiques du monde du travail en général, il se situe toujours un peu à part… La relation avec « le patronat » du secteur est elle aussi très difficile à définir et pollue ce qui pourrait être un véritable engagement des uns et des autres. Il s’agit souvent de très bonnes relations et/ou d’une dépendance très forte qu’il est très difficile de dépasser et de laquelle il est compliqué de s’émanciper. Dans la culture « on travaille par et avec passion ». De cette idée découle beaucoup de choses et notamment une précarité acceptée voire totalement intégrée. Des patrons de boîtes de prestations événementielles (et quelquefois même des directeurs de structures culturelles) commencent déjà à revoir les salaires proposés aux intermittents à la baisse. On peut voir un technicien payé d’ordinaire 14 € / heure auquel on demande aujourd’hui de travailler pour 11 € pour le même travail… « IElles peuvent s’estimer heureux : ielles travaillent » ! La réforme de l’assurance chômage sur le volet intermittence du spectacle a de beaux jours devant elle : ce n’est pas cette année que nous verrons des grèves d’intermittents sur le festival de l’été (s’ils ont lieu) !
L’intermittence du spectacle est le système le plus libéral qui soit. Pas de contrainte. Pas d’indemnité de fin de contrat. Juste un taux chômage plus élevé que celui du régime général (pour l’employeur mais pour le salarié aussi !). On prend… On jette. On n’accepte pas les conditions de travail… Pas de problème : un-e autre fera l’affaire. Et tout ça sans aucun état d’âme de la part des employeurs : les périodes chômées sont indemnisées par le Pôle Emploi. Très souvent même, c’est Pôle Emploi qui indemnise les journées passées sur la route par des intermittents qui travaillent pour une boîte de prestations événementielles pour se rendre et amener le matériel sur le lieu du spectacle.
Deux assemblées générales ont eu lieu donc, l'une le 15 janvier, avec 70 personnes, et l'autre le 25 janvier, avec 50 personnes. Ce qui est vraiment bien au vu des difficultés actuelles pour se réunir tout simplement... Lors de l'AG du 25 janvier, est votée à l'unanimité la participation en tant que secteur de la culture à la mobilisation interprofessionnelle du 4 février. Contact est pris avec l'intersyndicale FSU, CGT et Solidaires pour que l'action prévue par le secteur se combine puis de mêle à la manifestation interpro. Des groupes de travail se mettent en place : commission artistique, commission technique, ateliers banderoles-pancartes, relations avec l’intersyndicale… et appel à une troisième assemblée générale après la manif.
Un gros travail est mené et beaucoup de réponses positives d’artistes pour participer à l’action le 4 février. Mini-spectacles (chant, danse, musique, fumigènes, graffeurs…) sont organisés sur le parvis du musée des beaux arts de Rouen à partir de 10h30. Heure à laquelle le cortège interpro se constitue à l’autre bout de la ville. 200 personnes présentes sur le parvis. Intégration du cortège interpro à son passage devant le musée et prise de tête du cortège pour finir le parcours tous ensemble (danseurs en tête et camion sono) jusqu’à la préfecture. Un millier de personne au total du coup dans les rues ce 4 février à Rouen. L'assemblée générale d’après manif a rassemblé une trentaine de personnes présentes, avec encore des nouvelles têtes, et aussi quelques représentants d’autres secteurs, notamment de l'éducation nationale et des jeunes précaires. Sont ressorties de cette AG une satisfaction évidente de l'action menée le matin et une volonté de continuer même s'il y a encore des difficultés à poser des revendications claires. Une autre réunion est proposée le 15 février. A l'ordre du jour, la constitution du collectif "cultureS en colère Rouen-Métropole" et la préparation des prochaines actions.