Dans le Pas-de-Calais, la région de Saint-Omer est une basse plaine, très plate, traversée par de nombreux cours d’eau, dont l’Aa, et leurs affluents. Une région où l’écoulement des eaux vers la mer a toujours posé un problème. Le marais audomarois, près de 4 000 ha de superficie consacrés au maraîchage, à 0 mètre d’altitude, en est le symbole.
Un très ancien système de canaux (les wateringues) permet — à condition qu’ils soient entretenus régulièrement — de drainer les zones humides ou inondables et ainsi protéger les terres agricoles et les habitations. Ce territoire fragile et vulnérable est particulièrement exposé au dérèglement climatique.
Des crues historiques
Les habitantEs y ont déjà subi des inondations. En 2002, une crue (que l’on disait historique) avait entraîné de nombreux dégâts et suscité des aménagements (bassins de rétention, champs d’épandage, construction de digues et plantation de haies). Mais cela n’a pas suffi ! Le niveau exceptionnel de 2002 a été dépassé en novembre 2023, qui a lui-même été dépassé en janvier 2024. Et donc, pour la troisième fois en deux mois, des pluies abondantes ont inondé près de 200 communes.
Tout se combine, les pluies à répétition gorgent la terre d’eau, la montée régulière du niveau marin freine l’évacuation des eaux vers la mer, beaucoup de haies qui ralentissent les ruissellements ont été arrachées. Mais la cause principale reste l’urbanisation et l’artificialisation des sols qui nuisent à l’infiltration des eaux. Malgré les réglementations, de nouveaux parkings, zones commerciales et industrielles ont concentré les ruissellements dans les fonds plats des vallées.
Les dégâts sont déjà considérables pour les habitantEs qui ne savent pas s’ils pourront rester, qui craignent que des épisodes de gel ne viennent aggraver la situation, pour les agriculteurEs dont les champs gorgés d’eau ne peuvent être travaillés, pour tous les artisans et les PME qui ont été à l’arrêt.
Solutions techniques et réponses politiques
La solidarité entre les habitantEs, les communes ne parvient pas à cacher l’amertume et la colère contre les pouvoirs publics. « Ce qu’on vit ce n’est pas dans le manuel », a dit Béchu, ministre de l’Écologie, oubliant toutes les alertes des scientifiques, révélant un manque d’anticipation inquiétant face aux conséquences prévisibles du dérèglement climatique.
Aujourd’hui, la répétition et l’importance des pluies montrent que la menace n’est plus exceptionnelle mais qu’elle doit être intégrée à toutes les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
Les réponses techniques ont une efficacité relative comme le souligne l’ingénieure hydrologue Charlène Descollonges : « pomper et rejeter l’eau au niveau des écluses de mer est très énergivore et ne suffira pas. Rehausser les digues coûtera très cher et ne suffira pas non plus ». Nous devons repenser nos manières d’habiter les territoires, « laisser leur place aux rivières », limiter au maximum l’artificialisation des sols, développer une agriculture respectueuse des haies, des fossés naturels.
Curage ou pas curage ?
Christophe Béchu veut modifier la réglementation pour « faciliter le curage » des cours d’eau. Les règles en question sont celles qui protègent la biodiversité… mais peu importe pour le ministre de l’Écologie. Le curage — extraire les sédiments accumulés au fond d’une rivière ou d’un canal — est une « fausse bonne idée », dit Philippe Lagauterie, membre de France Nature Environnement, ancien directeur régional environnement dans le Pas-de-Calais. Curer en amont déportera la charge des inondations sur des zones à l’aval. Côté environnement, « le curage va détruire le fond biologique de la rivière, le biotope, qui détient un pouvoir épurateur ». Si dans certains cas cette pratique est utile (plusieurs canaux du Pas-de-Calais sont régulièrement curés par Voies navigables de France), elle doit être contrôlée par des écologues et des hydrologues : un cours d’eau ne doit pas être curé, il doit s’autonettoyer.