La Chine est-elle à l’aube d’une crise de régime ? Le pouvoir n’en maintient pas moins ses ambitions mondiales.
L’autorité du régime semble actuellement minée de multiple façons. Les dirigeants n’arrivent pas à juguler la crise financière comme en 2008. Or, le succès du « modèle chinois » tient à la capacité du « noyau central » de la bourgeoisie bureaucratique à piloter le développement capitaliste. Cette capacité est tendanciellement mise en cause par la généralisation de la corruption, le renforcement du capital privatisé et de l’individualisme « nouveau riche » des enfants de hauts dirigeants, l’insertion dans le marché mondialisé.
Dans la tourmente, le pouvoir réprime
La question est de savoir si l’on approche d’un point de rupture où le « modèle » initié par Deng Xiaoping dans les années 1990 ne fonctionnera plus. Une question qui se pose d’autant plus que la violence des luttes de fractions au sein de la direction du PCC a atteint un niveau que l’on n’avait pas connu depuis le procès en 1976 – il y a donc quarante ans ! – de la Bande des Quatre (qui avait pris le pouvoir durant la « Révolution culturelle ») : procès publics, condamnations à mort… Le président Xi Jinping tente d’imposer son contrôle sur l’appareil en s’attaquant à des dirigeants politiques clés, chef des services secrets ou généraux de l’armée, mais il risque d’être affaibli par la multiplication des crises et l’exaspération croissante de la population.
L’effondrement de la bourse de Shanghai a été un coup très rude pour des millions de petits porteurs qui croyaient que le capitalisme à la chinoise, c’était la possibilité de s’enrichir en dormant tranquille sous l’égide du parti-État. Ils ont appris que c’était aussi la ruine, comme ils ont appris que c’était vivre (et mourir) dans une atmosphère hautement polluée. Les accidents industriels se multiplient dans le pays du fait de la connivence entre autorités et entreprises. Le rejet par la population de cette connivence a pris une dimension nouvelle le 12 août après l’immense catastrophe du grand port de Tianjin, non loin de Pékin.
Face à l’exaspération populaire croissante, le pouvoir mène une politique de répression préventive. À la veille du 8 mars, des figures de premier plan du mouvement féministe chinois ont été arrêtées alors qu’aucun « débordement » n’était à craindre. Les avocats des droits humains sont réduits au silence : selon Amnesty International, ils seraient aujourd’hui 220 convoqués ou détenus, avec leurs proches. Le régime se durcit sur le plan intérieur.
Une ambition planétaire agressive, jusqu’où ?
Pour l’heure, la direction chinoise poursuit sa politique expansionniste mondiale bien au-delà de sa zone de proximité (Asie de l’Est) ou du continent africain. Elle a profité des déboires de Washington dans le monde arabe pour pénétrer assez profondément en Amérique latine. Elle a engagé un bras de fer avec l’Inde sur le Sri Lanka (où elle a subi un revers politique due à la défaite électorale du précédent gouvernement). Elle engage un grand projet de nouvelles « routes de la soie » à travers l’Eurasie, à la fois terrestre et maritime, qui lui permet de prendre pied en Asie centrale, traditionnelle chasse gardée de la Russie, avec en particulier pour cible le Kazakhstan, et d’intégrer l’achat d’une partie du port du Pirée (grâce à la relance des privatisations en Grèce) à un projet d’ensemble de « sécurisation » de ses lignes de transport.
Elle annonce maintenant explicitement vouloir « donner un rôle plus global à ses forces armées », la marine devenant être l’instrument d’une ambition planétaire (le Monde du 28 mai 2015).
La direction chinoise élabore une orientation géopolitique sur le moyen terme qui l’amène à entrer directement en concurrence, dans leurs propres zones d’influence, avec les États-Unis, la Russie et l’Union européenne. Aura-t-elle les moyens économiques et politiques (cohérence du régime) de poursuivre cette politique très agressive ? Le danger, c’est que le nationalisme de puissance est déjà – et sera encore plus en cas de crise interne – le ciment idéologique du pouvoir. Il contribue aujourd’hui à une militarisation accélérée de l’Asie orientale. Qu’en sera-t-il demain ?
Pierre Rousset