Le Forum économique mondial de Davos qui vient de s’achever n’aura pas connu le même retentissement médiatique que les autres années : il s’est fait voler la vedette par les révolutions tunisienne et égyptienne... Chaque année, depuis 1971, la station suisse ultrachic accueille les 2 500 personnalités planétaires « qui comptent » : chefs d’entreprise, responsables gouvernementaux. À la différence d’autres sommets – G8, G20 – ce n’est pas un lieu de décision. Les maîtres de la planète discutent, échangent… et refont leur monde. L’organisation du Forum est financée par les subventions des 1 000 plus grandes entreprises mondiales. Le Forum est d’ailleurs lui-même une grande entreprise au chiffre d’affaires annuel de… 135 millions d’euros. Participer à cet exercice de prestige n’est pas franchement gratuit. Pour assister au Forum, il faut être adhérent (38 000 euros) et payer le billet d’entrée (14 000 euros). Encore cette somme déjà coquette ne donne-t-elle droit qu’aux séances ordinaires ! Car il existe aussi des réunions plus « selectes » qui, elles, requièrent une adhésion… à 200 000 euros ! À ce tarif, les riches et les puissants ne risquent pas d’être importunés par les gens ordinaires… Traditionnellement, Davos est l’occasion de professions de foi enflammées en faveur du marché, du capitalisme et du libéralisme le plus débridé, ainsi que de pronostics sur l’avenir du monde. Pronostics régulièrement démentis par la réalité. L’édition 2008 n’avait d’ailleurs pas dérogé à la règle : l’une des stars de l’événement, symbole d’une réussite éclatante, n’était autre que Dick Fuld, dirigeant de Lehman Brothers. Huit mois plus tard, cette banque faisait faillite, ce qui donna le coup d’envoi à la crise financière « systémique » dont les conséquences se font encore sentir. Du coup, en 2009 et 2010, les banquiers ont été un peu plus discrets à Davos. Mais, justement, 2011 marque leur grand retour. Après avoir, avec la complicité des gouvernements, racketté les finances publiques pour garantir leurs invraisemblables profits, ils se croient à nouveau autorisés à faire la leçon aux États et à s’inquiéter… des abus de la régulation. Le Bal des hypocritesUne posture aussi outrancière permet évidemment à Nicolas Sarkozy et à Christine Lagarde de s’en démarquer, voire d’apparaître à peu de frais comme des pourfendeurs des dérives du système. Au grand bal des hypocrites, ils ne sautent jamais leur tour ! Ainsi, Sarkozy peut se permettre d’incriminer les politiques bancaires – des « défis au bon sens » - dans le déclenchement de crises qui « ont mis au chômage des centaines de milliers, voire des millions de personnes ». Ainsi, Lagarde peut plaider sans vergogne pour une « taxation des transactions de change ». En fait, comme ils subordonnent, tant la régulation du système bancaire mondiale que la taxation des transactions, à un consensus des principales puissances – dont les États-Unis qui y sont violemment hostiles – il s’agit là de discours aussi vertueux que creux. Mais à Davos, entre gens sérieux, on s’occupe aussi des choses sérieuses : les difficultés de l’euro, le déficit américain, la croissance non maîtrisée des pays émergents, la flambée des prix alimentaires. Ainsi, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a tenté de convaincre qu’il n’y a pas de « crise de l’euro » et que les choses sont sous contrôle. Il en a profité pour justifier la « mission sacrée » de la BCE en matière de lutte contre l’inflation, une politique d’austérité responsable de centaines de milliers de chômeurs. Et, naturellement, il a appelé les États à la rigueur budgétaire. Ce discours a été repris avec encore plus d’arrogance par David Cameron, le Premier ministre britannique, pour qui l’issue aux difficultés passe par d’énormes coupes budgétaires, une nouvelle vague de privatisations et l’accélération de la dérégulation. Alors Sarkozy peut toujours s’agiter et discourir, le vrai « programme de Davos », c’est austérité, privatisation, dérégulation ! François Coustal