Entretien. Suite à l’action en justice de la multinationale Apple contre Attac, nous avons rencontré Raphaël Pradeau, porte-parole de l’association.
En ce début 2018, Attac fait face à deux procès inédits. Peux-tu nous en dire plus ?
L’association altermondialiste, qui va fêter ses 20 ans en 2018, ne s’était jamais retrouvée devant un tribunal mais va faire face à deux procès en moins d’une semaine ! Mardi 6 février à 8 h 30, Nicole Briend, militante d’Attac Vaucluse, est convoquée devant le tribunal de Carpentras, à la suite d’une plainte déposée par BNP Paribas. Son tort : avoir participé à une action symbolique de réquisition citoyenne de chaises pour pointer le rôle de la banque dans l’industrie de l’évasion fiscale.
Une semaine plus tard, lundi 12 février à 13 h 30, Attac est convoquée devant le tribunal de grande instance de Paris à la suite d’une assignation en référé déposée par Apple. Fin 2017, Attac avait en effet mené de nombreuses actions spectaculaires pour exiger que la plus grande multinationale du monde paye ses impôts et les 13 milliards d’euros qu’elle doit aux contribuables européens. La réponse de la marque à la pomme est de demander à la justice d’interdire nos actions futures dans les Apple Store.
Quels sont les risques encourus ?
Nicole est poursuivie pour vol en réunion et refus de prélèvement ADN, elle risque pour cela 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Ce procès sera donc l’occasion de demander qui vole qui. Qui est le véritable délinquant dans cette affaire, qui cause un préjudice à la société et qui devrait se retrouver devant un tribunal ? Alors que les organisateurs et les bénéficiaires de l’évasion fiscale jouissent d’une impunité quasi totale, il est scandaleux que ce soient les militants et les lanceurs d’alerte qui doivent rendre des comptes à la justice !
Quant à Apple, elle-même visée par une plainte pour l’obsolescence programmée de ses iPhone, elle nous accuse de « vandalisme » et d’« atteinte à la sécurité » de ses clients et salariés pour demander une astreinte de 150 000 euros en cas de future action d’Attac. Pourtant, comme le reconnaissent d’ailleurs les journalistes qui ont couvert ces actions, celles-ci sont symboliques, non violentes, menées à visage découvert et sans aucune dégradation matérielle.
Quelles suites pour la campagne contre l’évasion fiscale ?
Apple et BNP Paribas veulent bâillonner Attac, mais ces multinationales ne nous feront pas taire ! Nous allons bien entendu continuer à réclamer qu’elles paient leur juste part d’impôt dans les pays où elles réalisent des activités, plutôt que de déclarer artificiellement leurs revenus dans des paradis fiscaux. Notre analyse, renforcée par les suites des Paradise Papers (où les pouvoirs publics ont fait semblant de lutter contre l’évasion fiscale), est que seule la pression citoyenne permettra d’obtenir de réelles avancées pour mettre fin à ce fléau.
Nous pensons que les multinationales font une erreur en nous poursuivant, car cela va nous offrir des tribunes pour dénoncer leurs pratiques, et parce que le côté « David contre Goliath » joue en leur défaveur. Nous appelons tous les citoyens scandalisés par le fait que les riches et les multinationales échappent à l’impôt à venir manifester leur soutien les 5 et 6 février à Carpentras et le 12 février à 13 h 30 devant le TGI de Paris. Ce ne sont pas ceux qui dénoncent l’évasion fiscale qui devraient être jugés, mais bien ceux qui l’organisent !
Propos recueillis par Joséphine Simplon