Fallait-il être le samedi 2 novembre à Quimper avec les 30 000 « nigauds » et « esclaves » soumis à leurs patrons, ou à Carhaix avec la gauche qui pense comme il faut ? C’est de cette façon caricaturale que le problème a été posé par toute une partie de la gauche. La situation est évidemment beaucoup plus complexe.
Nombreuses ont été les réactions contre la manifestation de Quimper, souvent agressives voire insultantes. On l’a vu, Jean-Luc Mélenchon n’aime pas les « Bonnets rouges », et il n’a pas fait dans la dentelle en affichant son mépris pour le peuple opprimé. Une position bien relayée par des responsables du PG, des élus PS, des dirigeants d’EELV, par la CGT qui a déclaré que cette manifestation ne défendait pas les salariés, et enfin par la presse militante de gauche, l’Humanité et Politis : « Poutou (NPA) manifestera à Quimper avec le patronat, le FN et les identitaires »... Quelle finesse d’analyse !
Avec la colère sociale, contre les responsables de la criseLe NPA était bien à Quimper, et ses militants « bretons » ont manifesté avec leurs camarades de lutte, leur camp social… les salariés de Marine Harvest, de Gad ou de Tilly-Sabco. Le NPA était à sa place parmi les révoltés, dans un mouvement de profonde colère sociale contre l’écotaxe mais surtout contre l’austérité, les licenciements, et la souffrance au quotidien.Certes, il y a de la confusion dans la diversité des manifestants : des salariés, des paysans, des petits patrons, des artisans, des commerçants... La présence d’organisations patronales, d’élus UMP, de militants identitaires en a rajouté sur la complexité. De plus, la population en colère a trouvé sa force dans un sentiment régionaliste, « vivre, travailler, décider en Bretagne », un terrain particulier qui laisse la place à des courants politiques hostiles au mouvement ouvrier.Mais cela ne justifie aucunement les accusations d’une partie de la gauche syndicale et politique. En organisant une contre-manifestation à Carhaix, la CGT comme le Front de gauche ont fait pire que de se désolidariser d’une mobilisation populaire. En divisant, elles désertent un lieu de bataille politique, contribuant à laisser la main à la droite patronale. Déjà incapables de prendre des initiatives locales ou centrales contre les licenciements qui rompraient avec un climat général de résignation, voilà que ces « dirigeants ouvriers » tournent le dos quand le ras-le-bol s’exprime. Cette colère populaire ne serait pas comme il faut, alors il faudrait s’en tenir éloigné. Et on le sait, pour ces partis politiques, la révolution se fera dans les urnes, pas dans la rue. Leur réponse à la mobilisation bretonne en est une nouvelle illustration.
Pour une issue progressisteFace au danger réel de récupération et de dévoiement de la colère des opprimés, il y a une bataille politique à mener, qui consiste à défendre dans le mouvement une perspective politique « à gauche », progressiste, contre les politiques libérales, pour le partage des richesses, pour que la population prenne ses luttes et ses affaires en main. Une politique qui a de façon spectaculaire été refusée par le Front de gauche et la CGT.Le NPA a milité dans le cortège pour faire entendre une voix anticapitaliste. Avec des organisations comme Attac, l’Union démocratique bretonne (gauche bretonne), les Alternatifs et Breizhistance, nous avons agi pour la constitution d’un « pôle de gauche » posant clairement des revendications sociales. Il ne fallait pas laisser le terrain aux droites, aux réacs de toute espèce, au patronat qui veulent contrôler ce mouvement et en détourner la colère afin d’éviter qu’elle ne vise les possédants, les vrais responsables de la crise. La lutte de classe se mène à partir des mobilisations existantes, avec les gens qui se révoltent, au jour le jour. La révolte bretonne montre concrètement la nécessaire et urgente construction d’une opposition de gauche à ce gouvernement et à ses alliés. Pour la suite, nous militons pour que les organisations syndicales, associatives, politiques de la gauche radicale pèsent ensemble de tout leur poids dans le mouvement social pour la perspective d’une riposte unitaire, d’une mobilisation générale du camp des exploités.
Philippe Poutou