Publié le Mercredi 6 juin 2018 à 11h25.

Échange droit du travail contre baby-foot et fruits frais

Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique, a profité du récent salon Viva Technology pour effectuer une série d’annonces « pour les start-up ». Encore une fois, le gouvernement montre une volonté de tout faire pour aider… les patrons et les actionnaires.

Le refrain est relativement connu. Les start-up françaises sont trop faibles. Elles auraient de riches idées mais, embourbées dans les méandres de l’administration, elles ne pourraient pas s’en sortir administrativement. Elles pourraient rivaliser avec les multinationales du numérique, si seulement elles n’étaient pas écrasées par la -pression fiscale.

Après six mois d’un « Start-up tour » lancé par Édouard Philippe en novembre 2017, le secrétaire d’État au Numérique fait le bilan (tranquillement) et annonce « 100 mesures pour simplifier la vie des startups »1. Voilà qui ferait un bon titre d’article attrape-clics, mais il faut regarder les mesures dans le détail et prendre quelques exemples pour comprendre ce dont il s’agit.

Droit à déroger à un règlement ou à une loi

C’est une des mesures qui a fait le plus parler d’elle. Le gouvernement renforce et assouplit un dispositif créé en 2016 permettant à des entreprises de déroger à des lois ou règlements pour déployer un « business model », parce que « simplifier la vie des start-ups, c’est […] promouvoir, partout et tout le temps, l’audace et l’expérimentation. » Offrir une protection sociale à vos employéEs nuit à votre business model de livraison de repas ? Libre à vous de demander une dérogation.

Assouplissement des seuils sociaux

Le gouvernement compte modifier les seuils sociaux dans la loi Pacte à venir : les seuils de onze, vingt et cinquante salariéEs seront considérés comme effectivement franchis quand ils auront été atteints ou dépassés durant cinq années consécutives. Les autorités s’assurent ainsi que la plupart des start-up ne passeront jamais les seuils avant leur revente (ou leur faillite), et que les autres auront bien le temps de trouver des mécanismes d’évitement… D’après Mounir Mahjoubi, « il faut permettre de geler ces effets de seuil et accompagner les entreprises dans la croissance ». Comprendre : pendant cinq ans, moins de cotisations sociales pour ces entreprises, mais également une absence de représentation du personnel. Cette proposition ne fait que légaliser de fait « l’oubli » par nombre de start-up de procéder à l’élection de représentants du personnel.

Derrière le vernis patronal

On vante souvent les start-up comme un univers idyllique qui attire les jeunes, avec des horaires de travail libres, peu de hiérarchie, une ambiance de travail détendue et amicale, des fruits frais en libre service, un baby-foot et une salle de sieste à disposition. Tout est fait pour que les salariéEs se sentent comme à la maison. Un vrai petit paradis.

Mieux vaut pourtant ne pas trop regarder sous le capot2. Les horaires libres cachent une réelle pression, et travailler plus de 45 heures par semaine est très courant. Il n’est pas rare d’avoir à travailler week-ends et jour fériés pour « rusher » un projet. L’absence de hiérarchie laisse place à un management brutal.

Les petits avantages accordés aux employéEs de start-up ne sont souvent là que pour faire joli sur les offres d’emploi, là où patrons et fondateurs de start-up rivalisent d’ingéniosité pour contourner le code du travail. Le petit paradis se révèle être un enfer pour les employéEs, simplement compensé par une corbeille de fruits et des jeux pas toujours intéressants.

Le patronat – et le gouvernement à son service – s’appliquent une nouvelle fois à assouplir des règlementations là où, au contraire, renforcer les contrôles ne ferait vraiment pas de mal.

Adrien Horn