Un nouvel épisode de la série « Ford a décidé de partir, mais nous on ne veut pas ».
Cette fois, il ne s’agit pas d’un concert de soutien, d’une action de blocage, d’une manif ou d’un débrayage. C’est une audience au tribunal de grande instance de Bordeaux qui a eu lieu le 7 mai. En effet, une majorité d’élus au comité d’entreprise (sauf les cadres) ont décidé d’attaquer la multinationale pour défaut de consultation.
Empêcher le désengagement de la multinationale
Les réunions du 27 février (annonce du désengagement de Ford) et du 15 mars (désignation du cabinet pour rechercher un repreneur) sont contestées pour plusieurs raisons : ordres du jour non respectés, documents présentés par Ford non remis aux élus ni avant ni après les réunions, des dirigeants qui ont imposé une visioconférence car ils refusaient de venir pour la deuxième réunion sous prétexte qu’ils ne se -sentaient pas en sécurité.
Au-delà du non-respect des procédures légales, il s’agit de s’opposer aux manœuvres des dirigeants, de perturber leur stratégie de communication et au bout du compte, d’empêcher le désengagement de la multinationale. La politique de Ford consiste à faire accepter son départ aux salariéEs, aux pouvoirs publics comme à l’ensemble de la population. Les dirigeants agissent par étapes, car ils ne veulent pas apparaître comme des liquidateurs : ils veulent faire ça « proprement ». D’abord en disant que, malheureusement, ils n’ont plus d’activité pour l’usine, mais que comme ils nous aiment bien, ils vont chercher un repreneur. Ainsi ils pourront partir la conscience tranquille, peu importe ce que devient l’usine dans les années qui suivront. C’est un processus classique, une forme de sous-traitance de fermeture d’usine.
Lutter contre le fatalisme
Le tribunal est donc pour nous un outil comme un autre pour nous défendre, pour faire du bruit, pour dénoncer et pour compliquer la vie de Ford. C’est un moyen de sensibiliser la population, de secouer les pouvoirs publics, de faire bouger le gouvernement qui semble loin des grandes déclarations de début mars selon lesquelles il convaincrait Ford de changer de politique. L’audience au tribunal a permis de médiatiser, de rappeler que le danger de fermeture était bien réel. Notre avocate, en précisant les abus de Ford, dénonce une politique qui consiste à se défausser, à justifier l’injustifiable. En saisissant la justice c’est pour nous aussi un des moyens de délégitimer l’attitude de Ford et le fond de sa décision.
Nous savons bien que l’issue de notre histoire sera le résultat d’un rapport de forces, d’un mouvement qui dépasse les salariéEs directement concernés, qui entraîne la population. Nous avons conscience que la mobilisation des salariéEs reste faible tant le sentiment d’impuissance paralyse. Nous voyons bien aussi les manœuvres diverses pour faire croire à l’inéluctabilité de la fermeture de l’usine, que ce soit du côté des médias, comme par exemple le quotidien Sud-Ouest qui défend la thèse d’une reprise de l’usine, ou du côté d’élus et acteurs économiques locaux qui font comme si tout était écrit d’avance. Et le silence du gouvernement depuis quelques semaines joue aussi contre nous, en mettant dans la tête de tout le monde que ça finira mal. Tout va dans le sens du fatalisme, du « on n’y peut rien ».
Imposer le maintien de l’activité
Sauf que nous refusons cette issue. Alors, même si c’est avec les moyens du bord, avec lesquels nous arrivons tout de même à nous faire entendre, et même si nous ne sommes pas nombreux, pour l’instant ce qui compte c’est notre détermination, notre acharnement à défendre l’usine et tous les emplois. On sait bien que de cette manière aussi on force la solidarité, on encourage les soutiens et, quelque part, l’envie de résister et de changer la donne.
Le délibéré sera rendu le 22 mai. Si nous obtenons l’invalidation des réunions CE, ce sera peut-être symbolique, mais ce sera un point d’appui pour la suite de la bataille. Cela mettrait forcément un peu plus la pression sur le gouvernement et les pouvoirs publics pour agir plus clairement à nos côtés en imposant à Ford de maintenir l’activité sur l’usine.
Philippe Poutou