L’usure de la mobilisation encourage logiquement la direction à tenter de reprendre la main. Après des semaines marquées par un faible niveau de production, traduction d’une forte résistance collective, voilà que Ford est passé à l’offensive. Des cadres, certains plus zélés et moins scrupuleux que d’autres, sont ressortis de leurs bureaux, sentant que le moment de la revanche était venu.
La pression a ainsi été remise sur les salariéEs, un savant mélange dosé de chantage et de menaces, avec un argument osé : si on veut un repreneur alors il faut montrer qu’on est sérieux et professionnel ! Une politique soutenue par le syndicat des cadres qui fait ainsi une volte-face spectaculaire bien que peu surprenante. Ce « syndicat » a trouvé un nouvel adversaire, qui n’est plus la direction de Ford, mais la CGT dont certains délégués sont particulièrement visés, pistés et menacés de sanctions car ils seraient facteurs de démotivation. Ainsi Ford implante un climat social d’une violence perfide.
Silences et revirements
Cette politique de remise en ordre vise à imposer une vision inéluctable du départ de Ford, bien aidée il faut le dire par le laisser-faire des pouvoirs publics, qui n’interviennent en aucune manière depuis plusieurs semaines.
En effet, nous n’avons plus aucune nouvelle du gouvernement, du préfet et des ténors locaux comme Juppé (Bordeaux Métropole) et Rousset (région). Après le discours « musclé » selon lequel Ford avait trahi et qu’il n’était pas question de la laisser partir, voilà un lourd silence qui ressemble à un début de revirement avec l’acceptation d’un éventuel repreneur.
Le journal Sud-Ouest est à la manœuvre, avec sa « une » significative du 23 avril, « Ford : qui va reprendre l’usine ? », juste le lendemain du succès de la journée de soutien aux salariéEs en lutte (débat-concert du 21). Cet article explique que Ford ne reviendra pas sur sa décision et qu’on va vers une reprise, et le nom d’un des repreneurs potentiels est donné. Sans plus d’information, sans preuve, sans demander aux syndicats, sans personne pour confirmer une telle info, ni le gouvernement, ni Ford, ni le prétendu repreneur…
Acteurs, pas spectateurs
Cet article n’est pas neutre, il prépare les esprits au départ inéluctable de Ford, au prétendu moindre mal d’une reprise, à l’idée que l’on n’a pas besoin de se mobiliser : l’usine sera sauvée parce qu’on s’occupe de nous. Ce qui fait du dégât dans la têtes des salariéEs comme de la population. Derrière, aucune réaction du gouvernement et des pouvoirs publics.
Tel est le premier obstacle à la réussite de la mobilisation. Tout est fait pour que l’on subisse les évènements, pour que l’on soit spectateurs de notre propre histoire. Il y a bizarrement beaucoup de monde pour nous convaincre qu’il faut rester sage, juste faire confiance aux spécialistes qui sauraient mieux que nous : les dirigeants de Ford, le syndicat des cadres, le gouvernement, une flopée de cabinets, même les médias …
Alors que c’est exactement le contraire : c’est à nous salariéEs de mener la bataille contre la fatalité, contre les escroqueries comme celle de la multinationale Ford, contre l’irresponsabilité des responsables politiques, contre tous ceux qui nous font de l’intox.
La bataille est rude, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot ni réalisé notre dernier exploit. Il nous faut juste reprendre un peu confiance en nous, dans notre force collective.
Philippe Poutou