C’est un peu surréaliste, mais ça se passe comme ça chez Ford. À l’image sans doute de ce qui se passe dans d’autres situations du même genre. En fait, patrons et gouvernement se moquent du monde et, même quand on s’y attend, ça fait bizarre. Tout est permis, pas besoin de justification, d’arguments, d’explication : une multinationale peut tout simplement plier bagage, et le pouvoir politique peut faire croire à son impuissance. C’est simple.
Trois mois après avoir annoncé leur volonté de se désengager, les dirigeants de Ford ne donnent aucune nouvelle. Le préfet, Juppé, le gouvernement sont aussi silencieux. Le grand quotidien régional Sud-Ouest, peut-être aux ordres, ne dit plus rien, ou presque. Pourtant, tous ces gens savent bien que l’usine est menacée et que des milliers d’emplois sont en jeu. Il savent que cette histoire est un scandale, un de plus. Et les choses vont ainsi, et c’est terrible. Les semaines passent, et nous rapprochent toujours un peu plus d’une catastrophe tellement prévisible.
Contestation minoritaire mais déterminée
Officiellement, c’est en début d’année prochaine que l’activité devrait s’arrêter. Dès juin-juillet, des productions baisseront de manière importante, provoquant un sureffectif d’une quarantaine de salariés. Pour cet été, l’arrêt d’usine passe des trois semaines habituelles à quatre. Et on s’attend à une fin d’année chaotique.
Pour Ford, se taire doit faire partie d’une stratégie, qui consiste à faire progressivement passer la pilule. Les dirigeants ont lâché leur bombe en février et attendent que ce soit mûr dans les esprits pour passer à l’étape suivante. Sauf que leur silence témoigne peut-être d’un petit souci dans leur plan.
Car même si Ford peut se réjouir d’une absence de mobilisation massive de la part des salariéEs, il existe quand même une opposition à leur décision, une contestation déterminée, celle d’une -poignée de salariéEs certes, mais elle existe.
Cela faisait plus d’un mois que nous n’avions pas fait d’action. Les derniers débrayages avaient un peu démoralisé l’équipe militante CGT. Nous étions à peine une cinquantaine pour bloquer l’usine fin avril. Et ça nous avait calmé. Mais quelques semaines après, on repart à l’attaque, en embarquant cette fois deux syndicats ouvriers sur trois. C’est mieux, cela ressemble à une unité retrouvée, même si cela ne suffit pas à changer l’ambiance.
Nous étions 60 à nous rassembler devant l’usine pour poser une banderole rendant visible notre refus du choix de Ford. Nous voulions absolument marquer le coup en ce jour « anniversaire » de l’accord signé le 24 mai 2013 avec les pouvoirs publics, engageant la multinationale à maintenir 1 000 emplois au minimum pendant 5 ans. Mais à partir de ce jour, Ford n’est plus tenu par aucune promesse. Alors c’était pour nous l’occasion de rappeler à la fois les responsabilités de Ford et l’irresponsabilité des pouvoirs publics. Une occasion aussi pour dire que Ford doit rester, doit maintenir l’activité et que la solution préconisée du repreneur n’est qu’un leurre.
Direction Cologne
Les collègues sont écœurés, inquiets mais réagissent très peu. C’est dur de voir autant de résignation. Mais il n’y a pas de raison de flancher. Alors on tente une autre action, inédite. Cette fois avec les quatre syndicats ouvriers : nous avons décidé d’aller manifester à Cologne, devant le siège de Ford Europe. Ce sera le 20 juin, jour d’un comité de groupe européen, avec les représentants des usines européennes de Ford, comité dans l’ordre du jour duquel il n’est même pas mentionné le sort de l’usine de Blanquefort ! Fallait oser.
Nous avons trois semaines pour convaincre, entraîner au moins le noyau des collègues prêts à en découdre. C’est évidemment compliqué, il faut compter un jour et demi, en train, avec une nuit sur place. Cela suppose un budget important, donc une recherche de soutien financier. Cela demande du temps et de l’énergie, mais ça vaut le coup.
Comme dit le slogan de Ford « Go -Further ». Pour nous ce sera jusqu’à Cologne pour le moment, toujours dans l’espoir de secouer les pouvoirs publics et de déstabiliser les dirigeants de Ford. Nous ne partons pas favoris mais nous n’avons toujours pas dit notre dernier mot.
Philippe Poutou