Pour les salariéEs de Ford Blanquefort, la situation se complique un peu plus, si l’on peut dire. En effet, depuis l’annonce de la fermeture de l’usine en juin dernier, nous n’avons plus grand chose à perdre. Pourtant, ces derniers jours, il apparaît que les possibilités de nous en sortir s’amenuisent. Ford vient en effet de refuser un plan de reprise de l’usine que le belge Punch lui avait présenté officiellement le vendredi 12 octobre.
On le savait déjà, la multinationale ne voulait pas faire reprendre l’usine : non seulement elle veut partir, mais elle ne veut rien laisser derrière elle, cette usine devant disparaître. C’est encore plus clair maintenant, car même avec un projet de reprise, jugé « sérieux » par le gouvernement, soutenu par l’État et les collectivités territoriales (17 millions d’euros d’argent promis), Ford décide de maintenir son objectif de fermeture.
Des pouvoirs publics menés en bateau ?
Le ministre de l’Économie Le Maire dénonce l’attitude de Ford. Il ajoute qu’il n’est pas question d’abandonner, qu’il faut mener la bataille pour faire plier Ford, et qu’il faut pour cela toucher à son image, lui mettre la pression : « Nous allons nous battre et nous ne nous laisserons pas faire. » (sic). Il en appelle à la mobilisation de touTEs, s’adressant aux pouvoirs publics, aux élus locaux mais aussi… à nous les syndicats, à nous les salariéEs !
C’est évidemment surprenant, inédit peut-être, d’entendre ce discours « unitaire » et « combatif », surtout après nous avoir conseillé d’attendre et de rester calmes pour ne pas perturber les négociations.
Mais là, tout s’écroule : le ministre et son équipe sont en échec, Ford les envoie bouler, ils sentent bien qu’ils se sont faits mener en bateau. Ils le disent eux-mêmes, tous, Le Maire comme Juppé ou Rousset. Pourquoi n’ont-ils pas voulu nous entendre alors que depuis des années nous alertons sur Ford qui baratine, ment, manœuvre au détriment de la collectivité ? Nous avions même gagné en justice contre le non-respect des engagements de Ford concernant le maintien des emplois. Mais là, ils étaient où ?
Pas de temps à perdre
Nous n’allons pas épiloguer sur la sincérité supposée de leur posture actuelle. Nous n’avons pas le temps d’essayer de tout comprendre, entre ce qui se joue en coulisses ou ce que sont les véritables enjeux pour eux. Nous avons un combat à mener et peu de semaines pour le faire. Beaucoup de temps a déjà été perdu par eux, et c’est pour nous que ce temps est perdu.
Et heureusement que nous n’avons pas attendu qu’ils nous conseillent de mener la bataille. C’est d’ailleurs sûrement grâce à notre résistance, à notre refus catégorique de la fermeture, à notre détermination à défendre nos emplois que, quelque part, nous avons bousculé les pouvoirs publics et ainsi rendu intenable leur passivité. Oui, nous avons contribué à créer les conditions du moment, peu favorables certes, mais meilleures que si nous n’avions rien fait.
Un repreneur sinon rien ?
Car même si nous sommes loin d’avoir sauvé l’usine, il existe désormais une possibilité, un objectif avec ce possible repreneur. Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs : un repreneur, ce n’est pas un allié, ni un ami, c’est un patron qui ne nous veut pas du bien, qui veut faire des affaires et avec qui nous serons confrontés aux mêmes problèmes qu’avec Ford.
On sait aussi qu’une reprise, ça peut rater, ça peut être bidon, que nous pouvons nous faire balader, que cela peut n’être qu’un nouveau sursis. Mais ça nous permet de ne pas être licenciés, de ne pas pointer. Et c’est énorme. Car au lieu de pointer seuls à Pôle emploi, nous resterions un collectif pour mener la suite de la bataille, ce qui change pas mal de choses.
Alors oui, le plan du reprise de Punch, on ne sait pas s’il est fiable et sérieux, comme le dit le gouvernement. Mais c’est notre espoir du moment pour sauver nos emplois. C’est ce que nous avons comme alternative au licenciement.
Notre plan de bataille pour les jours qui viennent
Pour nous c’est clair, il faudrait intensifier et durcir la lutte. Le refus de Ford d’accepter le plan de reprise est une déclaration de guerre. Cela suscite la colère, dans un contexte déjà très dur dans l’usine. Les arrêts de travail se succèdent, la production est régulièrement proche de zéro. Ford sait bien qu’il faut en finir vite avec son PSE que nous avons réussi à repousser de 2 mois. On parlait de course contre la montre, on peut dire qu’on est en plein dedans.
Et puis, l’air de rien, dans ce contexte particulier, la posture actuelle du ministre et de Juppé, donne de la légitimité à notre lutte, cela peut donner un nouvel élan à la mobilisation qui peine à s’étendre.
Malgré les difficultés que nous rencontrons, les actions se multiplient. Dernièrement nous sommes allés devant le Mondial de l’auto, installant notre stand « Ford », celui des salariéEs contre la multinationale, pour nous faire entendre. Nous préparons une nouvelle manifestation contre la fermeture de l’usine, le 25 octobre, avec nos camarades d’autres syndicats, d’associations, de la gauche politique, avec l’idée encore de mobiliser largement, en s’adressant à la population, car nous sommes touTEs concernés par une usine qui ferme.
Il y a urgence à basculer dans une véritable mobilisation, dans l’usine et en dehors. Les évènements risquent se précipiter. Ford peut vite perdre le contrôle de la situation, et le rapport de forces peut rapidement évoluer. Ce n’est pas forcément un pronostic, mais un réel espoir.
Philippe Poutou