La mobilisation des collègues reste très difficile à organiser. Pourtant la colère contre Ford est bien réelle. D’ailleurs il y a une forme de résistance qui se développe : ralentir les productions ou parfois même ne pas produire du tout pendant quelques jours. C’est ce qui arrive sur la ligne d’assemblage par moments. Il faut dire que les niveaux de production sont très faibles et que Ford n’a plus vraiment besoin que nous fabriquions.
Il semble que l’activité actuelle ne soit là que pour maintenir les salariéEs au travail, un minimum, question de discipline, et ainsi de maintenir le calme dans l’usine. De quoi occuper les salariéEs : le temps qu’on passe à travailler, on ne le passe pas à réfléchir. La direction le dit : les ouvriers ont un contrat de travail et il faut le respecter sous peine de sanctions disciplinaires et financières ! Un patron ça ose tout.
Une hiérarchie agressive
En réalité, c’est Ford qui décide de ne plus apporter de travail, qui décide de fermer l’usine, et c’est donc Ford qui rompt à sa manière le « contrat de travail », qui ne respecte pas les engagements pris ces dernières années. Mais ce sont les salariéEs qui doivent « respecter » leur contrat.
Tout cela renforce logiquement le sentiment d’être manipuléEs par une direction sans scrupule, juste payée pour faire passer le PSE le plus vite possible et sans accrocs. Sauf que le mépris, ça fait faire des erreurs.
Face à la « démotivation » des collègues, la hiérarchie, déjà complètement discréditée, met des coups de pression, exerce menace et chantage. Elle ne supporte pas que les salariéEs puissent décider combien ils produisent, puissent se passer d’elle et, pire encore, puissent ne plus la craindre. Une partie de la hiérarchie dérape. Cela fait réagir, cela permet de discuter de la légitimité de refuser le travail dans ces conditions, de revendiquer le droit de penser à nos intérêts, de les défendre, de s’occuper de nos affaires. Nous rappelons qu’à l’usine on peut faire autre chose que travailler et obéir à une direction ou à des cadres qui se moquent bien de l’intérêt collectif et de notre avenir à touTEs.
Alors bien sûr, cette situation n’est pas si simple. Une partie de la hiérarchie est agressive, harcèle des collègues. Ça fait du dégât humainement. Cela provoque de la colère, parfois les cadres se font remballer mais pas toujours. La peur aussi existe, la souffrance, parfois l’incapacité pour les collègues de riposter.
Une résistance qui marque les esprits
La CGT fait des tracts pour dénoncer la politique d’intimidation des dirigeants, pour soutenir les collègues, essaie ainsi de favoriser les échanges, pour donner de la force, du courage, de la confiance. Ce qui compte, c’est que collectivement, le plus possible, nous nous sentions légitimes à nous défendre, à nous faire respecter.
Dans ce contexte difficile, les choses peuvent évoluer rapidement. La résignation ou le sentiment d’impuissance peuvent à un moment donné s’effacer. C’est évidement ce que nous espérons, ce à quoi nous travaillons. La manifestation dusamedi 22 septembre, dynamique et deux fois plus importante que celle du 30 juin, a redonné le moral à l’équipe militante et aux salariéEs combatifs. Tout ce que nous avons fait durant ces dernières semaines, les actions diverses pour défendre les emplois et l’avenir de l’usine, même à peu nombreux, ça paye un peu. Cela exerce une pression sur les pouvoirs publics. Notre détermination sensibilise la population, elle montre qu’on peut s’opposer à une fermeture, à des licenciements. Cette résistance marque les esprits. Et ce n’est sans doute pas pour rien qu’une possibilité de reprise est maintenant défendue par le ministre Le Maire, qui a remontré le bout de son nez tout récemment, la veille de notre manifestation…
Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas à faire de pronostics. Nous avons une bataille à poursuivre, il nous faut pousser, pour sauver le plus d’emplois possibles, pour empêcher la fermeture de l’usine. Durant les semaines qui viennent, nous allons multiplier les initiatives : soutien aux Goodyear et aux GMS, manifestations le 9 octobre, puis le 12 octobre devant le salon de l’auto, et de nouveau à Bordeaux le 25 octobre… jusqu’à atteindre l’objectif !
S’il y a une seule chance, alors il ne faut pas la gâcher. Il nous faut l’arracher.
Philippe Poutou