C’est dans des conditions difficiles que nous avions décidé d’organiser, le 30 juin à Bordeaux, une manifestation unitaire contre la fermeture de l’usine Ford et contre les licenciements partout.
Dix jours après l’annonce de Ford, nous étions un peu au fond du trou, avec une absence de réaction des collègues, résignés. Nous étions à peine 30-50 à nous mobiliser sur les 850 salariéEs que nous sommes. Au fil des jours, rien ne poussait à l’action.
Première alerte pour Ford
Mais il ne fallait surtout pas flancher. Nous avions alors décidé de multiplier les initiatives, le déplacement à Cologne (20 juin), le film En Guerre avec Stéphane Brisé (25 juin), le « blocage » symbolique des portillons le jour d’ouverture du PSE (26 juin). Et puis le 27 au matin, la bonne surprise, environ 140 collègues arrêtent de travailler, entre ras-le-bol, écœurement et inquiétudes pour l’avenir, avec en tête la prime de licenciement mais aussi l’importance de garder son emploi. Quelques discussions, le ton monte et nous partons en cortège, nous forçons les portes fermées du bâtiment administratif et finissons par envahir la deuxième réunion du PSE. Des salariéEs ont alors pris à partie la direction, face à face, pour dénoncer la situation, pour exprimer nos craintes et notre colère, et ce pendant une heure.
C’est une alerte pour Ford qui ne bouleverse pas le climat dans l’usine, mais qui reste un évènement marquant, suffisant pour ranimer les discussions dans les ateliers et pour remettre du baume au cœur au noyau de militants et de salariés combatifs.
Une belle manifestation
C’est dans ce climat compliqué que nous avons manifesté le 30 juin, pour essayer de briser un silence surprenant, comme si une usine pouvait fermer sans faire de bruit. Il s’agissait de dire que le sort d’une usine ce n’est pas seulement une affaire d’ouvriers, mais que cela concerne tout le monde. Nous étions donc 400 à 450 dont une quarantaine de salariéEs Ford avec leurs proches. C’est peu au total, et cela représente très peu de collègues, c’est vrai. Sauf que la manif fut belle et dynamique. Un véritable échantillon de la société, avec des délégations de salariéEs venant d’usine fermées récemment comme Metal Aquitaine (Fumel-47), en cours de liquidation comme GM&S (La Souterraine), ou encore victime d’un plan de licenciements comme Bosch (Rodez). Il y avait aussi des délégations pêchues de cheminotEs solidaires venant de Paris-gare de l’Est et de Toulouse. Et puis des syndicalistes CGT, FSU, Sud, CNT, venant du public, notamment de l’Opéra de Bordeaux, comme du privé, des militants associatifs ou de collectifs (AC !, Coordination des intermittents et précaires de la Gironde…), enfin d’organisations politiques comme Génération.s, PCF, LO, NPA avec notamment les porte-parole Jean-Pierre Mercier et Olivier Besancenot. En plus nous avons eu une médiatisation correcte, qui a permis de bien relayer l’action. Du coup, ça peut paraitre surprenant mais, dans le contexte, le bilan est très positif, et cela nous redonne finalement pas mal de confiance. Ce qui n’est pas du luxe.
La bataille continue
C’est évident que cela va nous donner des forces pour la suite et nous aider pour tenir dans les mois qui viennent. Nous verrons ce que nous pourrons faire et sauver au bout du compte. Nous ne faisons pas de pronostics. Nous sommes déterminés, nous avons une envie dingue de contrer la stratégie de la multinationale qui se moque complètement des conséquences sociales de sa course aux profits, et aussi de secouer des pouvoirs publics à côté de la plaque, de forcer l’État à agir plutôt que se lamenter de sa prétendue impuissance.
Nous n’abandonnons donc pas l’espoir de changer la donne. Le climat social peut changer, la situation peut se retourner. En tout cas, nous continuerons notre propagande régulière avec notre journal de lutte, nous allons préparer d’autres initiatives, dans l’usine comme à l’extérieur, avec par exemple une nouvelle manifestation unitaire en septembre.
Même si nous sommes à ce jour plutôt mal barrés, la bataille contre les licenciements et pour la sauvegarde d’une activité reste bien d’actualité. Et nous n’avons pas dit notre dernier mot, ni nous syndicalistes ni les collègues.
Philippe Poutou