Pour répondre à la multiplication des plans sociaux, le Front de gauche a déposé une proposition de loi « tendant à interdire les licenciements boursiers et les suppressions d'emploi abusives », proposition examinée le 16 mai à l'Assemblée nationale. Qu'en est-il de son contenu ? Ouvrons le débat (1).Le cœur du texte est formé par les articles 1 (qui modifie la définition du licenciement économique) et 2 (sur les licenciements « abusifs sans cause économique »), les autres articles prévoyant des mesures connexes (remboursement des aides publiques, contrôle du juge sur la réalité du motif économique des restructurations, suppression de la rupture conventionnelle, notamment).Les motifs économiques de licenciement seraient limités aux difficultés économiques, aux mutations technologiques et à la cessation d'activité. La sauvegarde de compétitivité ne pourrait plus être invoquée.Dans les entreprises qui feraient des profits ou verseraient des dividendes ou des stocks options, les suppressions d'emploi ou les licenciements économiques seraient « réputés dépourvus de cause réelle et sérieuse ». En l'état du droit actuel, ceci ne revient pourtant pas à les interdire. Un patron ne serait en effet pas empêché de licencier mais s'exposerait aux conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (réintégration du salarié ou versement d'une indemnité d'au moins six mois de salaire). À charge pour le salarié de saisir les prud'hommes pour contester son licenciement, au prix d'une procédure individuelle, longue et coûteuse.En outre, la réintégration ne concerne pas les salariés qui ont moins de deux ans d'ancienneté ni les boîtes de moins de onze salariés, dans ces cas, le salarié ne pourrait prétendre qu'à une indemnité appréciée par le juge. Quid également des entreprises liquidées sans repreneur ? La proposition de loi n'en parle pas.
Bouleverser le droit de propriétéLe dispositif se veut certes « volontairement restreint », comme un premier pas vers une sécurité sociale professionnelle. Mais il ne revient qu'à accroître certaines contraintes sur les entreprises (en matière de justification du licenciement essentiellement) et vise à dissuader mais pas à interdire. Certains licenciements sont pourtant déjà interdits dans le code du travail (maternité, grève…) et la rédaction est alors plus ferme (« aucun salarié ne peut être licencié… », « aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail… »). Ces interdictions sont assorties de sanctions pénales (le patron qui les viole est donc un délinquant), et emportent en cas de contestation devant les prud'hommes la nullité du licenciement.Si un tel choix a été fait, c'est que la proposition de loi « n'a pas vocation à mettre à mal le nécessaire équilibre entre le droit d'obtenir un emploi et de le conserver, et la liberté d'entreprendre ». Là est peut-être le désaccord.L'interdiction des licenciements n'est-elle qu'affaire de balance entre les droits des salariés et ceux des patrons, réductible à un débat au sein d'un Parlement qui vient de légaliser l'ANI du 11 janvier 2013 ? Ou est-elle, comme le conçoit le NPA, l'expression des besoins des travailleurs, l'instrument d'un bouleversement des rapports de classe et du droit de propriété, et la première mesure que prendrait un gouvernement des travailleurs ? Ce qui nécessiterait bien plus qu'un aménagement du droit existant…Julien Lanoli1. Pour une critique de la notion de licenciement boursier, voir l'article de Claude Jacquin, Les licenciements boursiers n'existent pas(décembre 2011) sur le site du Monde diplomatique.