Mercredi 20 février, le très patronal journal les Échos présentait comme inquiétants les chiffres de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) montrant une augmentation des dépenses d’indemnités journalières de 8 % en janvier et de plus de 5 % sur les douze derniers mois. Une tendance confirmant une augmentation de 5,2 % du « coût » des arrêts de travail au niveau de 10,3 milliards au détriment du régime général. Une hausse qui provient pour deux tiers d’un plus grand nombre de jours d’arrêts et pour un tiers d’indemnités plus élevées.
Pour la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), il s’agit sans doute du signe d’un problème de fond touchant au mal-être au travail et aux « contraintes physiques et psychosociales » qui pèsent sur les salariéEs. Selon la Dares, la moitié des arrêts pourraient être évités moyennant une réorganisation du travail et l’utilisation d’outils mieux adaptés.
Selon une étude de l’assureur Malakoff Médéric, nombre de salariéEs renoncent totalement ou partiellement à une prescription d’arrêt de travail : 19 % des personnes interrogées ne sont pas arrêtées alors que le médecin jugeait cette interruption utile, ou n’ont pas pris l’arrêt en totalité. Sur les 364 salariéEs interrogés, 48 % ont répondu : « Il n’est pas dans mes habitudes de me laisser aller » ; 23 % ont peur d’être surchargés de travail à leur retour ; 22 % ressentent, disent-ils, la pression de la hiérarchie et 20 % jugent impossible de déléguer leurs tâches.
Et toujours dans le même sens, 41 % des salariéEs ne posent pas d’arrêt, même lorsque cela serait nécessaire. 31 % se rendent à leur travail et 10 % posent un congé (CP ou RTT). Principaux motifs invoqués : la volonté de ne pas voir son salaire diminuer et le poids important de leur charge de travail.
Le travail, ce n’est pas la santé
Selon une enquête BVA-Rehalto publiée en 2017 (et réalisée auprès de 1 500 salariéEs), unE salariéE absent sur quatre attribue son arrêt à son travail lui-même. 27 % évoquent des tensions liées à l’organisation ou des difficultés liées aux pratiques managériales. Un taux en augmentation de 7 points par rapport à l’année précédente. Plus précisément, on recense à nouveau la charge de travail (60 %), l’environnement physique de travail (42 %) ou encore les mauvaises relations avec la hiérarchie (40 %) et le manque de reconnaissance (40 %).
Et si on regarde du côté des femmes, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Car si globalement les femmes sont 50 % plus absentes au travail, les secteurs d’activité les plus touchés par l’absentéisme sont ceux qui cumulent à la fois les conditions de travail difficiles et une moins grande habitude de la mise en place d’actions de prévention, des situations de désengagement et d’usure professionnelle, secteurs où les femmes sont surreprésentées. Les services et la santé sont ainsi les deux seuls secteurs dans lesquels le taux d’absentéisme des moins de 30 ans est supérieur à celui des moins de 40 ans.
On notera en outre que le développement vertigineux du mal-être au travail et des burn-out avec des longueurs d’arrêts de travail hors « normes » pèsent de plus en plus dans la progression globale.
Pressions et répression…
Les réponses du gouvernement sont classiques pour certaines, novatrices pour d’autres. Classiques, les consignes aux médecins de limiter les arrêts de travail et la promulgation de « barèmes » : l’Assurance maladie met à leur disposition des fiches élaborées par la Haute autorité de santé (HAS). La durée de référence d’un arrêt est de 3 jours pour une angine ou une gastro, 5 jours pour une grippe, de 1 à 35 jours pour une lombalgie, 14 jours pour des troubles anxio-dépressifs mineurs et de 28 à 60 jours pour un infarctus.
Retour vers le classique avec le retour de la suppression du jour de carence dans la fonction publique. Classique aussi l’acharnement contre les médecins du travail qui, tel le Dr Huez 1 osent dénoncer les pratiques patronales.
Au total, tout concourt à montrer que l’intensification du travail, le report de l’âge de la retraite (qui pousse nombre d’employeurs à favoriser les arrêts longue durée comme transition) sont au cœur de la dégradation des conditions de travail et donc de l’augmentation des arrêts dus au travail ou à son environnement (déplacements, pollution…). C’est bien ce que met en évidence un rapport parlementaire qui dit que 3,2 millions de travailleurEs présentent aujourd’hui un risque très élevé d’épuisement professionnel, dont 20 % de l’encadrement. La France occupe le premier rang mondial de consommation de psychotropes et le quatrième rang en matière de suicide sur le lieu de travail.
La réduction drastique des moyens des institutions représentatives du personnel et singulièrement des comités hygiène, sécurité et conditions de travail, auront certainement des conséquences catastrophiques dans ce domaine.
Robert Pelletier