Pas trop de « bleus » devant la Maison de la radio, ça ferait un peu dictature chilienne ou grecque, années 70... Seuls deux porteurs de pistolets mitrailleurs et un gugusse doté d’un gros gilet pare-balles nous rappellent que nous sommes en vigilance rouge pour cause de terrorisme...
Au niveau des vigiles pour lesquels la direction refuse d’investir dans un lit pour qu’ils puissent se reposer la nuit, c’est plus cool. La plupart sont en grève, pendant que les non-grévistes sont réquisitionnés pour assurer la protection rapprochée du PDG Mathieu Gallet qui feint de craindre d’être agressé par des salariéEs en colère.
Réappropriation des lieuxPour rejoindre le studio 105 où se tiennent les assemblées générales, c’est un véritable dédale de halls, de couloirs, d’escaliers. Dans ce labyrinthe, un des gros intérêts des longs mouvements de grève est que l’on peut commencer à se (ré)approprier les lieux. Savoir où se trouve le bureau de tel collègue, tel studio, et surtout le trajet pour y aller.Le deuxième intérêt est de rencontrer les salariéEs de tous les services, toutes les activités. Journalistes, opérateurs/trices, agents de sécurité, bruiteurEs, réalisateurs/trices, salariéEs de l’entretien, etc… Surtout que le dédale des locaux n’est rien à côté de celui des métiers, des statuts, des horaires. Un concentré de l’ingéniosité des gestionnaires à parcelliser les activités, à diviser les salariéEs.Mais, bien guidé, on arrive au studio 105, où depuis près de trois semaines se déroule les AG de grévistes. Peu de décoration, juste une banderole et des dessins qui viennent s’ajouter chaque jour sous forme d’affichettes.
Réduire la diversité culturelle, attaquer le service publicLa grève a démarré sur quatre préavis autour des principales attaques annoncées par la direction : suppression d’un orchestre, regroupement des équipes éditoriales, externalisation de services « hors cœur de métier », accroissement de la place de la publicité.Mais ces attaques ont été vite perçues pour ce qu’elles sont : une volonté de réduire la diversité culturelle sous forme de service public à sa plus simple expression. Le premier déficit de l’histoire de Radio France n’est que de 20 millions d’euros sur un budget de 650 millions en 2015, essentiellement prélevés sur une redevance qui représente environ 10 euros annuels par Français, soit 80 centimes par mois. Cette perception de l’enjeu consolide la grève dans le temps, permet son élargissement comme l’entrée dans le mouvement des services informatiques ce mardi 7 avril.Là où Gallet ne voit que 7 % de grévistes, vendredi dernier, 70 % de la rédaction de France Culture, 35 % de celle de France Info et entre 30 et 50 % de celle de France Inter, ainsi qu’une grande partie des radios locales étaient en grève...
La haine d’un côté, la colère de l’autreLa haine de Sarkozy pour le service public ; l’aplatissement de Placé déclarant « je suis pour le droit de grève mais à un moment ce n’est pas normal. Il faut savoir arrêter les grèves », le courage du journal le Monde qui, dans un éditorial anonyme, assène : « Depuis quinze jours, on ne discerne, en effet, aucune revendication précise, susceptible de servir de base à une négociation sérieuse et à des réformes nécessaires. Radio France est en grève pour que rien ne change à Radio France. Fascinant désir d’immobilisme, pour ne pas dire de conservatisme »... De son coté, le gouvernement tente de faire passer sa politique d’austérité par des intermédiaires comme le technocrate Gallet, jouant lui-même lourdement de sa mise en place par le CSA.Lors des AG qui réunissent chaque jour pas loin de 500 personnes, c’est la multiplicité des colères, des inquiétudes, qui s’exprime. On sent les fragilités dues à la parcellisation, à la précarisation, aux traditions syndicales différentes. Les témoignages de toutes et tous consolident le rapport de forces, renforce la solidarité. Samedi dernier, une rencontre quasi improvisée avec les auditeurs a réuni 300 personnes au Grand Parquet et la caisse de grève se monte à 75 000 euros.
« Mathieu Gallet a dit que Radio France risquait de ne pas passer l’été, lui doit partir sans délai ! »Devant l’intransigeance et l’arrogance du PDG soutenu ouvertement par le gouvernement, le débat est engagé en AG. Comment élargir encore notamment du côté des journalistes, et s’adresser plus largement au public ? Comment éviter l’enferment dans le dialogue social, les consultations du comité central d’entreprise ? L’exigence du départ de Mathieu Gallet et de son staff, de la nomination d’un médiateur sont des éléments fédérateurs tant la direction s’est déconsidérée. Mais gagner vraiment contre la destruction du service public de la culture, de la musique, du divertissement nécessite un élargissement, un soutien pour lesquels la journée du 9 avril peut être une étape. Ils et elles y seront.
Robert Pelletier