Entretien. Le vote/sondage organisé par la direction de l’usine Smart, filiale du groupe Daimler-Mercedes a fait la Une des médias du week-end. Il illustre brutalement les enjeux de la révision du Code du travail, notamment autour de la question du temps de travail et des rémunérations que se propose d’engager, ou plutôt de poursuivre le gouvernement après les lois Macron et Rebsamen.
Malgré le résultat, en partie favorable à son projet, la direction annonce que le dialogue se poursuit. « Il est important et de la responsabilité de chaque partie de respecter le vote de la majorité et de tenir compte du vote minoritaire. Il n’y a plus de Oui et de Non. Nous sommes une seule équipe soudée qui veut concrétiser le pacte 2020 pour nous mettre en position de force pour de nouveaux projets. » Si le projet a été dénoncé en amont par trois des quatre syndicats du site Smartville de Hambach (Lorraine), la construction du rapport de forces ne fait que commencer.
Après leur passage et leur intervention chaleureusement applaudie au stand du NPA à la fête de l’Humanité, nous avons interrogé deux salariés, syndicalistes CGT sur Smartville.
Quelles justifications donne la direction pour augmenter le temps de travail sans compensation totale en salaire ?
J’ai posé la question mardi dernier en réunion de Comité central d’entreprise, et le DRH m’a répondu clairement que le but était de faire baisser le taux horaire. Pour nous, pour le moment, aucun élément économique ne justifie la mise en œuvre d’un tel projet. L’entreprise gagne de l’argent, rien ne justifie que les salariés augmentent leur temps de travail en ne gagnant pas plus d’argent. De cette manière, la direction prétend pérenniser les emplois en améliorant la compétitivité du site via une diminution du coût de travail.
Pourquoi le vote s’est-il fait séparément – « ouvriers » d’un côté, « cadres » de l’autre – alors que la question était la même et que dans les votes habituels (élections professionnelles), il y a trois collèges ?
Dans le projet de la direction, les salariés « non modulants », c’est-à-dire les cadres et les employés, techniciens, agents de maîtrise (Etam), auront le choix de passer aux 39 heures en signant un avenant au contrat de travail. Payés au forfait, les cadres et Etam devront renoncer à leurs jours de RTT (dix pour les premiers, six pour les seconds), tout en voyant leurs plages horaires sensiblement allongées. Pour les salariés « modulants », c'est-à-dire les ouvriers à la production, ceux qui sont au montage des véhicules, ils devront subir une augmentation du temps de travail et une réduction du taux horaires. Ils n’auront pas le choix de la signature d’un avenant.
Concrètement, le projet prévoit que le temps de travail des ouvriers soit porté à 37 h dès l’année prochaine, puis à 39 h durant trois ans (2017 à 2019), avant de revenir aux 35 h en 2020, en échange d’une augmentation de salaire générale de 120 euros brut/mois et d’une prime de 1 000 euros versée sur deux ans (2016 et 2017). C’est donc travailler 4 heures de plus par semaine, des horaires en poste de midi qui finiraient à 23 h 20, des samedis à travailler et un gel des salaires jusqu’en 2020...
Sur les salaires, ce sont les ouvriers qui proportionnellement perdent le plus. C’était donc une des demandes des syndicats de différencier les votes de ces deux catégories de salariés.
Quels leçons tirez-vous de ce vote ?
De ce vote consultatif, nous tirons deux leçons : si la participation a été forte, avec 93,3 % de votants, le désaccord est profond entre le collège des ouvriers de production qui a voté à 61 % contre le projet et celui des Etam et cadres qui y est favorable à 74 %. Si, au final, 56,1 % du personnel a émis un avis favorable, nous retenons les 61 % d’opposition de ceux auxquels les plus gros sacrifices seront demandés, tant en termes d’heures que de salaires.
Dans l’usine, l’ambiance est un peu difficile. Des cadres interpellent les élus CGT ou CFDT pendant que les ouvriers font connaître leur mécontentement à leur hiérarchie.
Quelle riposte préparez-vous ?
Nous espérons construire un front commun. Smart a finalement obtenu un Oui pour deux Non, celui de la CGT et de la CFDT. Passer à 39 heures signifie 17 h 33 de travail en plus par mois, ce qui correspond à un taux horaire de 5,19. C’est inacceptable alors que tous les voyants sont au vert.
Nos deux organisations ne signeront pas d’accord basé sur ces dispositions, même s’il a été soutenu par le vote/sondage par 56,1 % des votants. Pour qu’un tel accord soit valable, il faut réunir 30 % de la représentativité syndicale. Un résultat que l’on atteint seulement si la CFE-CGC (20 %) – la seule favorable au Pacte 2020 et qui a appelé à l’abstention lors du vote – et la CFTC (26 %) signent en sa faveur. Mais, même dans ce cas, la loi de modernisation sociale précise que l’accord est invalidé si les autres organisations syndicales disposant de plus de 50 % des suffrages aux élections professionnelles font jouer leur droit d’opposition.
C’est ce que nous ferons car avec 36 % de voix pour la CGT et 17 % pour la CFDT, nous représentons 53 % des salariés. Nous participerons à la suite des négociations, mais nous n’irons pas discuter le Pacte 2020 ni de la mise en place des 39 heures. Nous prendrons part à des négociations annuelles obligatoires concernant les salaires (NAO), mais pas à la remise en cause des horaires de travail.
Propos recueillis par Robert Pelletier