Recul des ventes, menaces de fermetures, reconversions militarisées : l’industrie automobile européenne entre dans une phase de turbulences profondes. Et les capitalistes s’en sortent toujours mieux que les ouvrierEs.
Les ventes de voitures atteignent, en Europe, un niveau de dix millions de véhicules par an, très loin des 15 millions d’avant le Covid. En France, elles ne cessent de baisser, avec une chute de 8 % depuis le début de l’année.
Les ventes de voitures électriques ne prennent pas à temps le relais des voitures à moteur thermique. Le grand recul européen des mesures écologiques pourrait aboutir à une remise en cause de la date de 2035 pour l’interdiction des ventes de voitures neuves à moteur essence et diesel.
Surproduction et fermetures en vue
Partout en Europe occidentale, le niveau actuel des ventes entraîne une surproduction évaluée à près de 50 % des capacités installées. Comme le patronat refuse le partage du travail disponible entre toustes, des annonces de fermetures d’usines sont à prévoir.
Après Volkswagen ces derniers mois, Stellantis est maintenant en première ligne des attaques probables. Pour l’usine de Poissy, le club de football PSG a engagé des négociations pour construire son prochain grand stade sur la friche industrielle de l’usine, condamnée à la fermeture. Les autres usines de Stellantis en France sont aussi sur la sellette, notamment celle de Rennes, au plan de charge incertain.
Reconversions militaires
Les firmes automobiles sont sollicitées pour participer à la relance européenne de l’industrie de l’armement. La dernière des fonderies produisant pour Renault, les Fonderies de Bretagne, a été rachetée par le groupe Euplasmat pour y fabriquer des corps d’obus.
Face aux menaces de fermeture, cette reprise n’a pas suscité d’opposition dans l’usine, le syndicat CGT demandant à participer au comité de suivi de l’activité.
Par ailleurs, Renault a engagé des discussions pour co-installer en Ukraine une usine de fabrication de drones. Les décisions annoncées en France sont moins avancées que celles en Italie, où Fiat a continué de développer une activité de production de matériel militaire, et en Allemagne, où les groupes Bosch et Continental prévoient de participer à la reconversion d’usines de pièces automobiles.
Profits, primes et abandons
Dans cette situation d’aggravation de la crise, la valse des patrons-mercenaires, Tavares chez Stellantis et De Meo chez Renault, n’est pas qu’anecdotique. Le licenciement de Tavares, accompagné d’une prime de départ de 12 millions d’euros, sanctionne les limites atteintes par sa politique de « gagner plus en produisant moins » de voitures, de plus en plus chères.
Alors que c’est aux États-Unis, principal gisement de profits de Stellantis, que cette politique a d’abord calé, le remplacement de Tavares entraîne un déplacement du centre de gravité du groupe de l’Europe vers les États-Unis, autour de Chrysler et de ses Jeep.
Ce changement s’accompagne du désengagement progressif de la famille Peugeot de Stellantis et de l’automobile. Les 7 % du capital de Stellantis qu’elle détient sont très inférieurs aux 15 % détenus par la famille Agnelli, et ne sont pas appelés à augmenter. Le holding de la famille Peugeot a déclaré vouloir « poursuivre ses investissements dans d’autres secteurs pour diversifier son portefeuille hors automobile ».
Le départ de Renault de son patron De Meo pour la firme de luxe Kering indique que pour ce genre de mercenaire, l’avenir est aujourd’hui plus prometteur dans le secteur du luxe. Cinq ans de présence, 8 000 emplois supprimés, et puis s’en va pour s’enrichir davantage avec Gucci et la haute couture.
Ces actionnaires et mercenaires mettent en pratique les reconversions : celles de capitaux et de carrières. Laissant au passage usines fermées et emplois supprimés. Plutôt qu’accepter ce laisser-faire mortifère, la reconversion des outils de production et des savoir-faire ouvrierEs pour produire des biens socialement utiles serait bien une exigence du moment.
Force est de constater que le mouvement ouvrier et le mouvement social n’ont pas encore trouvé les réponses à la hauteur de l’ampleur des casses industrielles en cours.
Jean-Claude Vessillier