La Cour de cassation autorise les plans sociaux sans motif économique, laissant les mains libres aux licencieurs.Pour le droit du travail, le licenciement pour motif économique est un mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, à l’initiative de l’employeur, pour un motif non inhérent à la personne salariéE. Il implique la suppression, la transformation de l’emploi, ou la modification d’un élément essentiel du contrat de travail refusée par le/la salariéE. Enfin, la suppression ou la transformation de l’emploi doivent être consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Reconnus depuis 1945, c’est seulement le 3 janvier 1975 que la loi relative aux licenciements pour cause économique organise la consultation des représentants du personnel sur les projets de licenciement pour motif économique, et instaure l’autorisation administrative préalable de licenciement. Ces dispositions ont constamment été combattues, notamment en revoyant à la baisse les droits des institutions représentatives du personnel (IRP). Finalement, l’autorisation administrative de licenciement a été totalement supprimée en décembre 1986. Le régime du licenciement économique a été complété en 1989 avec une loi qui développe les mesures d’accompagnement des salariéEs licenciéEs pour motif économique appelées « plan social ». Ces mesures visent à maintenir les salariéEs dans l’entreprise malgré les difficultés économiques, ou à faciliter leur départ en aidant leur reconversion, leur formation et leur recherche d’emploi. La loi de modernisation de janvier 2002 a réformé le régime du licenciement pour motif économique, pour prévenir la survenance de tels licenciements dans les entreprises « économiquement saines ». Le rôle de l’administration du travail et des représentants du personnel a été renforcé, un congé de reclassement a été institué et la loi a substitué au plan social un plan de sauvegarde de l’emploi. Les licenciements doivent toujours avoir un motif économique, mais la confrontation a lieu alors autour des définitions. Il s’agit de ne pas attenter au principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre. La loi parle d’un ou plusieurs motifs non inhérents au salarié, notamment de difficultés économiques, de mutations technologiques. La jurisprudence a ajouté un troisième motif qui est la réorganisation de l’entreprise pour sauvegarder la compétitivité de cette dernière. Le licenciement pour motif économique doit en fait réunir trois éléments essentiels pour avoir une cause réelle et sérieuse : un élément matériel (suppression d’emploi, transformation d’emploi ou modification du contrat de travail), consécutif à un élément causal (difficultés économiques ou mutations technologiques), et l’impossibilité de reclasser le salarié.
Au final, il ne restait plus que deux voies de contestation juridiques : la contestation devant les tribunaux de la validité de la consultation des IRP et celle de la réalité des motifs économiques des licenciements devant les prud’hommes par les licenciéEs.
En 2010, l’éditeur de logiciels Viveo avait annoncé un plan de sauvegarde de l’emploi visant 64 salariés, quelques semaines après son rachat par le groupe suisse Temenos. Les syndicats de salariéEs l’avaient contesté en justice et la cour d’appel de Paris l’avait annulé estimant que les motifs économiques étaient insuffisants. Depuis, les tractations et les pressions du Medef et des associations de DRH se sont multipliées en direction des membres de la Cour de cassation. Pour le Medef, la confirmation de l’arrêt Viveo reviendrait à établir une autorisation judiciaire des licenciements trente ans après la suppression de l’autorisation administrative et ouvrirait la voie à une saisine systématique du juge. Au contraire, pour les syndicats, il s’agissait d’un pas indispensable pour lutter contre les licenciements boursiers. Pour eux, refuser au juge le pouvoir de vérifier en amont le fondement économique aurait ouvert la porte au détournement de la loi de prévention des licenciements, déjà fragilisée par les plans de départs volontaires ou les ruptures conventionnelles.
Comme cela était malheureusement prévisible, la Cour de cassation a cassé le 3 mai cet « arrêt Viveo ». Pour la Cour de cassation, « La procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement ». En vertu du Code du travail, « seule l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi entraîne la nullité de la procédure ».
Dans un rapport de forces globalement dégradé avec les difficultés et les faiblesses des mobilisations entreprise par entreprise, les procédures juridiques sont bien souvent la principale ligne de défense des organisations syndicales et des salariés. Après les Conti, les Goodyear, les Fralib, M-Real et bien d’autres font l’amère expérience des aléas de la justice bourgeoise. Un changement de majorité parlementaire devrait ouvrir la voie à des transformations de la législation tant en matière de droit des licenciements que des droit des salariés et des institutions représentatives du personnel. Il n’en reste pas moins que cela aura plus de chance de voir le jour si les mobilisations se développent autour de la revendication d’interdiction des licenciements.
Robert Pelletier