Le débat revient de manière cyclique et plonge les réactionnaires dans leur habituelle panique morale. Le Sénat a adopté une proposition de loi visant à « protéger le français » des « dérives » de l’écriture inclusive, et Emmanuel Macron en a profité le 2 novembre pour affirmer que « le masculin fait neutre. »
L’écriture inclusive, c’est une série d’outils pour reféminiser et neutraliser le genre dans la langue : le point médian, cesser d’appliquer la règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin » quand on évoque un groupe mixte, utiliser la double flexion « bienvenue à tous et à toutes », les termes épicènes qui ne varient pas en genre alors qu’ils appartiennent à des catégories grammaticales qui ordinairement le font : « artiste, architecte, efficace, tu, je »... Il s’agit donc de tout ce qui permet la démasculinisation du langage.
Pourquoi la langue reflète-t-elle les rapports de domination ?
Il est scientifiquement prouvé que le masculin ne fait pas le neutre, n’en déplaise au président. Les études de psycholinguistique prouvent que l’usage du masculin générique engendre des représentations mentales déséquilibrées (en faveur du masculin).
Le Haut Conseil à l’égalité démontre que les femmes ont moins tendance à postuler à une offre d’emploi qui n’est pas en écriture inclusive. Il y a entre le langage et la réalité un rapport dialectique. La langue reflète les rapports de domination à l’œuvre dans le capitalisme patriarcal (et la réalité elle aussi est impactée par le langage). C’est un des lieux où se joue le rapport de forces de classe, de race, de genre, et la langue peut être un instrument de domination, comme un outil de lutte pour l’émancipation.
Pourquoi les réactionnaires en ont-ils fait leur cheval de bataille ?
L’extrême droite a décidé d’en faire une priorité dans sa bataille culturelle et idéologique contre ce qu’elle appelle le « wokisme », terme vague qui regroupe toutes les idéologies progressistes et leurs prétendus excès. L’offensive menée par la macronie contre l’écriture inclusive est l’occasion d’un clin d’œil à un électorat de droite sensible à ces questions et de reprendre les thématiques chères au RN.
Or, les tenantEs de l’ordre établi révèlent ici l’ignorance de leur propre langue car, une fois n’est pas coutume, c’était « mieux avant ». En effet, dans son histoire, la langue française a été plus inclusive. L’accord de proximité, la féminisation des noms — et même des participes présents — étaient pratiqués jusqu’au 17e siècle, quand les dominants ont utilisé la langue pour exclure les femmes. Il s’agit donc bien d’une question de rapport de forces.
Par ailleurs, le fait que le pouvoir cherche à dicter ce qui est autorisé ou non dans la langue est un pas de plus dans la dérive autoritaire du gouvernement, telle une police linguistique venue statuer puis réprimer celleux qui questionnent les règles.
Bien au contraire, ce sont celleux qui parlent la langue qui en définiront l’usage et trancheront. Loin des caricatures, l’écriture inclusive est une proposition. Celle de jouer avec la langue, sa plasticité, pour faire preuve de créativité. L’écriture inclusive n’a pas vocation à être codifiée ou imposée, il nous faut trouver par l’expérimentation et la réflexion collectives les formes qui conviendront le mieux.