Voilà près d’un mois que s’est ouvert le procès dit « de Mazan », celui de 51 hommes ayant violé Gisèle Pelicot, victime de soumission chimique par son mari. Près d’un mois que des centaines de milliers de femmes y sont suspendues, car il résonne avec nos propres histoires, et il porte un enjeu politique et féministe central.
La levée du huis-clos demandée par la victime ainsi que la stupéfaction face aux faits conduisent à une grande médiatisation du procès. Cela permet l’expression d’une forte vague de solidarité envers Gisèle Pelicot, comme l’illustrent le nombre de femmes qui viennent la soutenir chaque matin au procès et les rassemblements organisés partout en France.
Le silence de ceux qui regardent ailleurs
Dans ce contexte, le silence de ceux qui instrumentalisent allègrement ces questions quand cela les arrange est assourdissant. C’est ainsi que l’extrême droite instrumentalise le terrible meurtre de Philippine, afin d’assimiler l’étranger au danger. Pour le procès Mazan, silence radio, pas d’appropriation raciste et réactionnaire des violences.
Le procès Mazan montre la diversité ordinaire des auteurs de viols, féminicides, agressions sexuelles : ce sont nos pères, nos frères, nos voisins, ce sont des monsieur tout-le-monde.
L’apothéose de la culture du viol
La médiatisation a aussi eu pour effet de faire de Gisèle Pelicot un symbole dans la lutte contre les violences, une icône dont les représentations et les mentions fleurissent déjà sur les murs ou dans les rues à l’occasion des mobilisations féministes. Ainsi, pour le système patriarcal et tous ses défenseurs, il y a un enjeu impérieux à la détruire.
Alors qu’il est impossible de démentir les faits en raison des images auxquelles la Cour a accès, alors que Gisèle Pelicot semble être la « victime parfaite », elle est pourtant constamment humiliée et attaquée durant ce procès. Elle a dû subir de la part des avocats de la défense des questions telles que « Vous n’auriez pas des penchants exhibitionnistes que vous n’assumeriez pas ? » ou des remarques comme « Il y a viol et viol ». Le renversement de la culpabilité qui s’opère est résumé par Gisèle Pelicot le 18 septembre à la barre : « J’ai l’impression que la coupable c’est moi ! ». En dehors du procès, le « retour de bâton » contre la victime s’organise : nous pensons par exemple à l’avocate de la défense Nadia El Bouroumi qui inonde Instagram de vidéos contre Gisèle Pelicot allant jusqu’à danser sur Wake Me Up Before You Go Go (« Réveille moi avant de partir »).
Ces éléments illustrent la culture du viol dans toute son horreur. Les victimes de viol sont toujours coupables aux yeux de ceux qui voudraient les museler. On dépossède les femmes de leur histoire, de leur corps, on les rend possession de leur mari ou d’autrui.
Un procès du viol historique ?
Voilà près d’un mois que s’est ouvert le procès dit « de Mazan », celui de 51 hommes ayant violé Gisèle Pelicot, victime de soumission chimique par son mari. Près d’un mois que des centaines de milliers de femmes y sont suspendues, car il résonne avec nos propres histoires, et il porte un enjeu politique et féministe central.
En 1972, le procès de Bobigny qui juge Marie-Claire Chevalier pour avoir avorté à la suite du viol dont elle a été victime, a conduit notamment à l’inscription du droit à l’avortement dans la loi. En 1978, l’affaire Tonglet-Castellano ou procès d’Aix-en-Provence défendue par la même avocate, Gisèle Halimi, a permis d’avancer sur la criminalisation du viol.
Dans cette lignée, le procès Mazan constitue peut-être lui aussi un tournant historique quant à la notion même de viol. En effet, une prise de conscience collective vient remettre en cause les mythes autour des violences sexuelles, pourtant dénoncés par les féministes depuis des années. On le dit « hors normes » dans les médias, mais c’est aussi une manière de ne pas confronter le fait que l’affaire de Mazan résonne avec toutes ces « banales » affaires de viol et en particulier de viols conjugaux.
La question du consentement et de sa définition sont au cœur du procès, ce qui pourrait avoir un impact au niveau juridique. Car quand il est impossible pour les avocats de la défense de remettre en question les faits au vu de toutes les images recensées, c’est à l’intentionnalité de l’auteur qu’ils s’en remettent. Le non-consentement de la victime ne serait donc pas suffisant pour qualifier un viol, si violer n’était pas l’intention de l’auteur : encore et toujours, les hommes plaident leur innocence.
Nous, féministes, devons continuer d’investir ce procès de son poids politique. Le viol n’est pas un fait divers, alors que toutes les 2 minutes 30, un viol ou une tentative de viol est commis en France. Nous ne cesserons jamais de croire et de défendre les victimes, de crier notre colère pour que les violences s’arrêtent. Une nouvelle journée de mobilisation contre les violences et en soutien aux victimes est prévue le 19 octobre : la honte doit changer de camp !
Commission nationale d’intervention féministe