Les tensions diplomatiques avec Paris permettent à la junte de masquer ses résultats décevants dans la lutte contre les groupes armés djihadistes. D’autant que le pays s’enfonce dans une crise économique et sanitaire qui touche de plus en plus de Burkinabés.
Le pouvoir dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, auteur du second coup d’État, a déclaré fin décembre 2022 persona non grata Barbara Manzi, la représentante de l’ONU, et l’a expulsée. Il vient d’ouvrir un second bras de fer, cette fois-ci avec la France en exigeant le départ de son ambassadeur.
Crise diplomatique
Selon la presse, la junte reproche au diplomate français ses propos lors de son audition organisée à Paris par le Groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest du Sénat le 5 juillet. Il avait déclaré : « Ce "conflit endogène" est, en réalité, une guerre civile : une partie de la population se rebelle contre l’État et cherche à le renverser ». Il lui est fait grief aussi d’avoir demandé aux ressortissantEs français de quitter Koudougou, la troisième ville du pays, en raison de l’insécurité. La junte reproche tant à la représentante de l’ONU qu’au diplomate français de dramatiser la situation du pays et par là même de déconsidérer l’action des autorités. On peut noter les similitudes dans les pratiques des putschistes maliens et burkinabés. Les deux ont défié l’ONU puis Paris, et utilisent une démagogie nationaliste pour masquer la faillite de leur bilan.
Ce n’est pas la première fois que la junte du Burkina utilise le sentiment anti-français, bien mérité et largement développé dans la jeunesse, pour son propre compte. Lors de sa prise du pouvoir, Ibrahim Traoré avait déclaré que le lieutenant-colonel Damiba s’était réfugié sur la base militaire française de Kamboisin pour y préparer une contre-offensive afin de reprendre le pouvoir. Ce mensonge avait permis à la junte de s’assurer un soutien populaire, et avait accessoirement déclenché des attaques contre l’ambassade de France dans la capitale Ouagadougou, et à l’alliance française de Bobo-Dioulasso.
Situation difficile pour la junte
La justification du second coup d’État était l’aggravation de la situation sécuritaire du pays. Trois mois après, cette dégradation s’accélère. 40 % du territoire est contrôlé par les différents groupes djihadistes, et 40 % est considéré comme non sûr.
Les forces armées du Burkina sont en accusation pour des violations répétées des droits humains contre les civils ou des bavures. Un des derniers exemples est le bombardement aérien sur l’axe Kompienga-Pognoa, dans l’est du pays, qui a tué une trentaine de civils, en grande majorité des femmes.
La stratégie du pouvoir de l’appel au peuple pour qu’il prenne en mains sa défense ne fonctionne pas du fait des profondes divisions communautaires. Ainsi, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), recrutés massivement par les autorités, se transforment progressivement en milice contre les populations peules considérées comme des soutiens aux groupes djihadistes. Le processus d’autodéfense des villes et des villages, au lieu d’unifier les populations sur un objectif commun de lutte contre les groupes armés djihadistes, exacerbe encore plus les conflits entre les communautés. Comme en témoigne le tragique évènement du massacre de 28 villageois peules par des VDP en représailles d’une attaque de djihadistes1.
Un pays en proie aux difficultés économiques
Les conséquences des incessants raids des groupes armés ont aussi des effets néfastes sur la situation sociale des populations. 1,8 million de personnes sont déplacées, plus de 900 000 enfants sont déscolarisés. Un quart de la population du pays a besoin d’une aide d’urgence. C’est une augmentation, pour l’année 2022, de 40 %, et l’aide humanitaire reste notoirement insuffisante. Les chiffres de l’inflation alimentaire s’élèvent à plus de 23 %. À cela s’ajoutent de longues files d’attente du fait des pénuries de carburant révélant l’inanité de l’action gouvernementale.
Le très discret voyage du Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla en Russie, organisé par l’entremise de la diplomatie malienne, est inquiétant s’il annonce une fuite en avant militariste. La question centrale reste la reconstruction d’un tissu social entre et dans les communautés, condition indispensable dans une lutte efficace contre les groupes djihadistes.