Publié le Jeudi 23 janvier 2025 à 09h00.

Catalogne : Quand l’État espionne et infiltre les mouvements sociaux

En mai 2020, en pleine crise sanitaire, Maria Perelló (27 ans) débarque à Girona (Gérone), en Catalogne. Elle rejoint rapidement différentes organisations de la gauche indépendantiste, antiraciste et pour le droit au logement.

 

Pendant trois ans, elle milite dans les mouvements sociaux de la ville et développe même des relations intimes avec Oscar, un militant inculpé pour avoir participé à l’occupation des voies de l’AVE (train à grande vitesse) dans le contexte des mobilisations indépendantistes catalanes. L’équipe d’investigation du journal indépendant La Directa vient cependant de dévoiler la véritable identité de Maria : il s’agit d’une agent de la police nationale espagnole.

Quatre agents infiltrés

Le dimanche 12 janvier dernier, la chaîne de télévision publique catalane TV3 a diffusé un reportage à partir de l’enquête de La Directa qui met en lumière les cas de quatre agents, dont Maria, infiltréEs dans les mouvements sociaux et partis d’extrême gauche en Catalogne et à Valence. Le reportage dévoile les histoires de Maria, Marc, Ramón et Dani, tous issuEs de la même promotion de l’Académie de police d’Ávila et recrutéEs autour de 2019 pour infiltrer les milieux militants. Leur but : surveiller, renseigner et saboter les actions d’organisations, associations et collectifs de luttes sociales. 

Si l’espionnage des agences de renseignement ne surprend pas tant que cela, l’étendue de ces opérations, les méthodes et la portée de leur intervention posent de vrais problèmes. Et ce d’autant plus que cette politique pose la question de la responsabilité des gouvernements de coalition du PSOE avec Podemos, puis Sumar, et s’inscrit dans la continuité répressive historique de l’État espagnol.

Une politique de répression systématique

Au moins une dizaine d’autres affaires identiques ont été découvertes dans d’autres villes espagnoles au cours des dernières années, indiquant qu’il s’agit d’une politique délibérée entretenue par l’actuel ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska. À Madrid, Sergio (depuis 2012) et Juancar ont noyauté les collectifs antirépression et milieux antifas. À Barcelone, Daniel H.P. a pénétré le milieu libertaire, notamment en utilisant une méthode bien précise qui se retrouve dans d’autres cas : la séduction et l’utilisation de relations intimes avec des militantes. 

En effet, huit femmes ont porté plainte contre lui pour agression sexuelle, atteinte à l’intégrité morale, divulgation d’informations privées et atteinte à la liberté d’exercice des droits civiques. Après qu’elle a été classée sans suite, le Centre pour la défense des droits humains Irídia et le collectif de victimes de ces infiltrations Acciò contra l’espionatge d’Estat a fait appel auprès de la Cour constitutionnelle espagnole. Le ministre a admis que ces opérations existaient, mais a précisé qu’elles avaient pris fin et n’a pas souhaité donner plus d’explications. 

Le bras de fer avec l’État n’a fait que commencer. Ce modus operandi n’est pas nouveau, ni spécifique à la gauche radicale espagnole ou l’indépendantisme catalan. Dans le cadre de la répression du mouvement de libération nationale basque, en plus des GAL (Groupes antiterroristes de libération, commandos parapoliciers actifs dans les années 1980 sur le territoire français dans la lutte contre ETA), il existe une longue histoire d’infiltrations et d’opérations sous couverture.

S’organiser et se protéger

Pour répondre à ces attaques, le Collectif contre l’espionnage d’État s’est formé pour échanger sur ces expériences et se soutenir mutuellement afin d’affronter les conséquences de ces expériences traumatiques. Ce collectif a annoncé la publication d’un livre qui, au-delà du récit des affaires d’infiltration, doit servir de guide pour développer la sécurité des organisations sociales et politiques face aux risques d’infiltrations policières.

Koldo Mendi (33)