L’insurrection populaire au Chili a démarré avec la contestation liée à la hausse du prix du ticket de métro à Santiago, la capitale du pays. La jeunesse, puis l’ensemble des classes populaires se sont réunies devant les stations de métro pour protester, de manière spontanée et radicale.
Les événements ont pris un tournant d’autant plus massif à partir du moment où les militaires ont été déployés dans les rues, du fait de l’état d’urgence et de l’imposition du couvre-feu. Cette situation a généré de graves violations des droits humains, avec déjà une vingtaine de mortEs, de nombreux blesséEs, des violences sexuelles contre les femmes et les minorités de genre. Les mobilisations se sont répandues dans tout le pays et continuent toujours, avec des manifestations gigantesques, loin d’un « retour à la normalité ». Elles représentent une contestation générale du modèle de vie néolibéral.
Le gouvernement de droite conservatrice, avec à sa tête le président Sebastian Piñera, a désormais annoncé la fin du couvre-feu, le retour des militaires dans les casernes. Cependant, cela n’implique pas la fin de la violente répression. Il a aussi annoncé des mesures concernant les retraites, la santé et les salaires, mais sous la forme de subventionnement public aux entreprises privées qui gèrent tous les domaines de la vie. En effet, la Constitution chilienne est héritée de la dictature de Pinochet et elle inscrit jusqu’à l’eau comme un bien économique privé.
Depuis, trois éléments semblent s’être révélés importants dans le mouvement : la grève générale, les assemblées populaires et l’Assemblée constituante.
Grève générale
Premièrement, un premier appel à la grève générale a eu lieu le lundi 21 octobre par les organisations lycéennes et étudiantes et le mouvement féministe. L’Union portuaire, principal syndicat des dockers, s’y est jointe, ainsi que la plus grande mine de cuivre privée du monde. Au-delà de son impact réel dans un pays déjà paralysé et mobilisé, cela note l’importance des secteurs qui se sont mobilisés ces dix dernières années. Depuis le début des années 2000, on note un renouveau syndical dans les grands secteurs de l’exportation et de l’extraction des ressources naturelles, avec d’importantes grèves, parfois violentes. Puis, en 2006 et 2011, les mobilisations lycéennes et étudiantes ont eu un fort impact dans la société. Enfin, depuis le 8 mars 2019, le mouvement féministe s’est posé comme un acteur majeur, en posant la question de la grève générale à une échelle de masse.
Le syndicalisme majoritaire, avec à sa tête la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), et le mouvement No+AFP (qui a organisé des manifestations massives en 2017 contre le système privé de retraite) appellent depuis à des journées de grève générale. Il existe un débat sur le sens à leur accorder : un processus permettant la mobilisation dans le temps et la reconstruction politique de la classe ouvrière ou un moyen de pression pour se poser comme interlocuteur légitime face au gouvernement, dans une perspective plus conciliatrice ?
Assemblées populaires
Deuxièmement, des assemblées territoriales ont été appelées spontanément ou par des organisations féministes et populaires. Ces assemblées ont lieu sur des places ou dans des espaces publics par quartier. Y sont discutées les revendications sociales et démocratiques et l’Assemblée constituante. Récemment, un appel à la rencontre des différentes assemblées populaires de Santiago a émergé. Pour nombre de militantEs anticapitalistes et féministes, émerge la préoccupation de développer, coordonner et doter de pouvoir souverain ces assemblées. Un autre défi est d’ancrer la délibération populaire sur les lieux de travail. Cela représente un enjeu important dans un pays où le néolibéralisme a fragmenté le salariat, qui ne peut légalement s’organiser que par entreprise, par l’usage massif de la sous-traitance.
Assemblée constituante
Troisièmement, l’Assemblée constituante est importante vu le caractère du régime chilien. Cependant, des divergences existent sur le sens à lui donner et ses modalités. Elle est vue par certains secteurs comme un processus par le haut, voire même comme seulement l’élection d’un nouveau Parlement menant à l’écriture d’une nouvelle Constitution. Pour les mouvements sociaux plus radicaux, elle permet un processus de politisation et doit être souveraine. Ces militantEs estiment que pour garantir ce processus constituant, il doit être appuyé sur les cadres d’auto-activité que sont les assemblées populaires. Enfin, un enjeu est la reconnaissance du caractère plurinational du pays. Le peuple Mapuche n’est pas absent de ce mouvement. Un symbole fort a eu lieu à Temuco, en territoire historiquement mapuche, où au cours d’une manifestation massive, la statue du conquistador Pedro de Valdivia a été abattue et sa tête placée entre les mains de la statue de Caupolicán, guerrier de la résistance mapuche.
AG
Pour des éléments plus précis d’analyse, voir : https://www.contretemps.eu/chili-revolte-classe-travailleuse/