En attendant des analyses plus complètes, nous publions des extraits d’une interview accordée à TV5Monde par notre camarade Franck Gaudichaud au lendemain du référendum au Chili, qui s’est soldé par une victoire du « Non » à 62 %.
L’ampleur de la victoire du rechazo (« rejet ») est une surprise, y compris pour les sondeurs. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent cependant l’expliquer. Le premier, c’est qu’il y a eu une campagne très offensive de la part des grands médias et des milieux conservateurs contre la Constitution. Il y a eu toute une série importante de fake news qui a vraiment marqué l’opinion publique. J’ai pu m’en rendre compte en parlant dans la rue avec les gens qui affirmaient qu’on allait prendre leur maison, qu’une partie des héritages serait finie.
Il y a aussi tout un travail d’explication de ce qu’est la convention constitutionnelle qui n’est pas arrivé jusqu’au bas de la société. Toutes les discussions sur les avancées possibles, sur la sécurité sociale, les droits fondamentaux, le retour de l’eau comme bien public, sont restées dans les hautes sphères de la société.
Une campagne très polarisée
La campagne a été très polarisée. La Constitution a été distribuée assez tardivement. Ça a été d’ailleurs accompagné de polémiques car c’est le gouvernement lui-même qui les a imprimées.
Il y a aussi eu une relation asymétrique dans le traitement du nouveau texte constitutionnel d’un point de vue médiatique. Les anciens constituants affirment aussi que c’est une défaite avant tout médiatique, mais je pense que c’est plus profond que ça. C’est aussi une défaite politique importante pour le gouvernement.
Il y a dans ce résultat des votes sanction contre le gouvernement de Gabriel Boric. Si on regarde les sondages, il a perdu une grande partie de son appui initial et il y a une grande désillusion au sein même de la gauche chilienne.
D’ailleurs, Boric l’a reconnu en filigrane après l’annonce des résultats, en disant qu’il fallait qu’il fasse sa part d’auto-critique. C’est peut-être juste une phrase mais c’est en effet une défaite politique, qui d’ailleurs va avoir des effets inconsidérables sur la suite de son mandat.
Le dernier élément à prendre en compte, c’est l’effet du système électoral. Pour la première fois au Chili, il y a eu une inscription automatique et une obligation de vote pour un scrutin. Pour rappel, quand il y a eu cette immense majorité pour la rédaction d’une nouvelle Constitution en 2020, il y a aussi eu une très forte abstention qui dépassait les 60 % dans certaines communes du pays. Tout ce corps électoral silencieux s’est exprimé ce 4 septembre et a choisi massivement le rejet.
Fracture territoriale
La question des droits indigènes a eu un véritable impact dans les secteurs conservateurs et centristes. Certains avançaient que les nouveaux droits indigènes territoriaux allaient plus peser que ceux des Chiliens et que la question de la reconnaissance de la pluri-nationalité allait diviser le pays. Là, encore des arguments de fake news.
La question du logement et de la propriété a aussi été fortement remise en question. Le texte constitutionnel stipulait le renforcement du système de logements sociaux et de l’intervention de l’État dans la construction de logements. Cela a été faussement traduit comme la fin de la propriété privée.
Ce résultat confirme ce qu’on voyait déjà dans les dernières élections. Dans les grands centres urbains notamment Santiago, il y a eu plutôt un vote progressiste et favorable à la nouvelle Constitution. Dans le Nord, la question de la crise migratoire et de violence des cartels a beaucoup pesé en faveur du « rechazo ». Dans le Sud, la question des revendications et du conflit Mapuche a aussi radicalisé les positions.
Il y a cependant des exemples qui montrent de fortes contradictions. À Petorca, une petite commune connue pour sa crise radicale de l’eau a voté majoritairement pour le rejet de la Constitution. La Constitution réinscrivait pourtant les droits à l’eau et l’eau comme bien public. Cela a même été une revendication historique dans cette commune lors des mouvements sociaux. On voit donc qu’une grande partie de la population n’a pas vu son intérêt, même immédiat, dans ce nouveau texte.
Des dynamFranckiques contradictoires
Si, en octobre 2019, une grande révolte populaire a bouleversé la société au Chili, on voit aujourd’hui qu’il reste des réticences très fortes dans le corps social.
On l’avait vu avec le résultat d’Antonio Kast, alors candidat d’extrême droite à la dernière présidentielle, qui est arrivé en tête au premier tour. Ça avait surpris tout le monde.
La droite traditionnelle a alors été écartée et c’est l’extrême droite qui a surgi en arrivant au deuxième tour. Cette demande-là, Kast a réussi à la capter et elle vient de s’exprimer massivement dans ces élections. Il faut souligner aussi l’intelligence tactique de l’opposition qui a abandonné son discours des trente dernières années qui disait que la Constitution de Pinochet était bonne et que le Chili fonctionnait. Ils ont compris que ce n’était plus possible de tenir un tel discours. Ils ont donc réalisé une campagne de rejet de cette nouvelle Constitution mais d’adhésion pour un nouveau texte.