Comparable au maxi-procès de Palerme, ayant révélé au grand jour le fonctionnement de la mafia sicilienne, la première instance du maxi-procès Rinascita-Scott de Vibo Valentia1, qui s’est conclue le 20 novembre dernier, brise enfin la loi du silence (« l’omertà ») et fait émerger la trame complexe des relations entre l’État et la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise.
En position d’hégémonie dans le contrôle du trafic de cocaïne, celle-ci est aujourd’hui considérée comme l’organisation criminelle la plus puissante au monde. Son chiffre d’affaires annuel est de plusieurs dizaines de milliards d’euros et ses ramifications sont présentes sur tous les continents.
En Italie, la mafia a toujours été l’autre visage du pouvoir, un instrument de contrôle dans les mains des classes dominantes. Les arcanes de la mafia sicilienne avaient été dévoilés à partir des témoignages des premiers repentis comme Leonardo Vitale dans les années 1970 et puis, surtout, Tommaso Buscetta, le témoin-clé du maxi-procès de Palerme (1986-1987), ayant mis son savoir dans les mains du magistrat Giovanni Falcone, assassiné en 1992 dans l’attentat de Capaci.
La ‘Ndrangheta : une mafia pas comme les autres ?
Encore une fois, la coopération de plusieurs repentis, dont Emanuele Mancuso, l’un des petits-fils du patron de Vibo Valentia, a été décisive pour découvrir ce monde souterrain. Le respect strict de l’omertà a longtemps fait sa force : entre 1994 et 2007, sur un total de 794 collaborateurs de justice, seuls 100 provenaient de la ‘Ndrangheta2.
Le modèle organisationnel de la ‘Ndrangheta est profondément différent des autres organisations mafieuses. Il repose premièrement sur la force des liens familiaux et leur fiabilité, ce qui lui a permis de préserver plus longtemps sa nature secrète. Son fonctionnement est fondé sur l’échelle locale, chaque ‘ndrina est autonome et détient un monopole sur son territoire. Elle est régie par un agrégat d’au moins 40 « hommes d’honneur », avec une organisation hiérarchique, la soumission au « chef de la société » et des règles de loyauté communes3 qui en font une sorte de système de franchise archaïque. L’autre élément clé est constitué de sa capacité à dominer le trafic de drogue, en implantant ses propres hommes dans les pays producteurs et en s’alliant – y compris avec le système des mariages arrangés – avec les héritiers des « chefs de cartel ».
Enfin, la capacité de la ‘Ndrangheta a été de changer de peau, passant des 700 morts de la deuxième guerre mafieuse (1985-1991) à la stratégie de l’immersion non violente dans les institutions, en limitant le plus possible les embuscades et les assassinats.
Boss mafieux, hommes politiques et agents des forces de l’ordre condamnés
Pas moins de 388 accusés, plus de 400 avocats et 900 personnes appelées à témoigner : ce sont les chiffres avec lesquels le tribunal de Vibo Valentia, après 35 jours de chambre du conseil, a clôturé la première instance d’un procès de trois ans contre les clans de la mafia de la ville. Il s’agit de l’un des plus grands procès contre le crime organisé en Italie. Une salle d’audience de haute sécurité a été spécialement construite à Lamezia Terme pour accueillir les accusés. C’est le procureur Nicola Gratteri, protagoniste des grands procès de Palerme, qui a lancé l’enquête et représenté l’accusation.
De lourdes peines ont été prononcées à l’encontre de chefs et affiliés des clans de la ‘Ndrangheta dans la province de Vibo Valentia. Parmi les condamnés, des noms de la politique locale et des forces de l’ordre liés au clan Mancuso, comme l’avocat Giancarlo Pittelli, ancien sénateur et coordinateur régional de Forza Italia (le parti fondé par Berlusconi) ayant ensuite adhéré à Fratelli d’Italia (fief de Giorgia Meloni), l’ancien maréchal de la police financière ou encore le commandant de la police municipale. Les délits reprochés sont : abus et divulgation de secrets d’État, association mafieuse ou complicité externe, extorsion, enregistrement fictif de biens, meurtre, recel, blanchiment d’argent, trafic de stupéfiants et usure.
L’enquête de la DDA (direction du district antimafia) de Catanzaro a mis en lumière la collaboration du réseau criminel avec les loges maçonniques, mais aussi les tensions internes au sein des cosche (gangs) qui ont provoqué des dizaines d’assassinats ces dernières années.
Ainsi, grâce à sa rencontre avec une franc-maçonnerie dévoyée, la ‘Ndrangheta a trouvé un ressort relationnel qui lui a permis d’entrer dans les plus hauts appareils du pays. Un réseau secret de personnes insoupçonnées – magistrats, journalistes, politiciens, hommes d’affaires, forces de l’ordre – constituant le visage le plus obscène du pouvoir.
- 1. Le nom du procès est dû à la renaissance souhaitée de la Calabre et au nom de famille de l’agent spécial américain Scott Sieben qui a collaboré avec la police italienne sur les liens entre la ‘Ndrangheta et les cartels de la drogue colombiens.
- 2. https://www.filodiritto…
- 3. https://www.filodiritto…