Après 60 ans à parler de démocratie, sous divers noms successifs, tels que « monarchie constitutionnelle », « processus démocratique », « démocratie hassanienne » et « transition démocratique », personne n’ose pas prétendre que le Maroc est un pays démocratique autre que les médias officiels et les menteurs qui ont bénéficié de ce système d’oppression politique et sociale, et les « intellectuels » flatteurs. La classe ouvrière quant à elle, n’a connu de cette démocratie que le chômage, la répression des grèves, l’expulsion des syndicalistes, des salaires de misère et une exploitation assimilable à l’esclavage.
Pendant 60 ans, la majorité des MarocainNEs a vécu sous un régime d’oppression politique déguisée, une souffrance multiforme résultant de la nature du système économique social imposé, le système du capitalisme dépendant de l’impérialisme.
Et nous voici aujourd’hui à revivre le même processus politique, avec diverses élections, locales et nationales, qui seront suivies de la formation d’un gouvernement de façade, avec des miettes de pouvoir sur le papier qui lui seront retiré de fait, et ainsi continuera le même régime despotique.
Ce processus politique, faussement appelé démocratie, se déroule dans le cadre de la constitution de 2011, qui consacre le caractère individuel du pouvoir (Titre III sur la royauté, articles 41 à 59).
Le Mouvement du 20 février l’a décrite comme la constitution du despotisme, qui est la même que la constitution de 1962 du pouvoir absolu, avec une mise à jour de son langage selon le dictionnaire internationalement reconnu, tout en l’imposant avec fraude comme ses prédécesseurs.
La politique appliquée au Maroc, préjudiciable à la majorité de sa population, n’est pas fixée par des « institutions élues » ni par « le gouvernement émanant du parlement » qui ont plutôt le rôle de masquer le pouvoir réel avec ces deux composantes locales et étrangères et servir de bouclier qui protège ce pouvoir de la colère populaire en portant la responsabilité sur le gouvernement et le parlement (et toutes les institutions) des politiques décidées par d’autres : la monarchie, les patrons et les institutions du capital étranger.
Avec les élections du 8 septembre, l’État répète le même processus de domestication, en renouvelant le masque qui trompe les classes laborieuses de la possibilité d’une amélioration de leurs conditions de vie.
Le contexte dans lequel se déroulent les élections est le couronnement du processus de la défaite de l’opposition bourgeoise libérale, la capitulation des directions syndicales, et la récupération de la majorité des organisations de la société civile. Il annonce également l’accélération du rythme de l’offensive du capital pour investir tous les domaines et élargir ses profits en s’appuyant sur les finances publiques, en « structurant » le secteur public et en réformant « l’administration » pour lever tous les obstacles à sa croissance. C’est ce qui est inclus dans ce que l’on appelle le « rapport sur le modèle de développement ». Cette offensive de classe sera faite au nom du « pacte national pour le développement », qui consolide le « consensus national » avec la participation de la direction syndicale qui est plongée dans sa coopération consciente pour faire passer sans résistance des plans contre l’intérêt de la classe ouvrière, et en même temps par le développement d’un énorme arsenal de lois répressives et une modernisation massive de tout l’appareil de répression des libertés démocratiques.
L’expérience confirme que la lutte pour la démocratie suppose la mobilisation de la classe ouvrière, et sa direction de tous les couches populaires opprimés. Or, la conscience politique des ouvrières et de leurs organisations de classe au Maroc est aujourd’hui dans son bas niveau, en raison de l’histoire de la domination politique des forces non ouvrièrEs, et de l’impact de celle-ci sur les tentations de construction d’un parti ouvrier.
Les forces affiliées aujourd’hui à la classe ouvrière, à partir d’une position réformiste ou radicale, se divisent en deux catégories en matière d’élections :
- Celles qui appellent à la participation aux élections sur la base de la réalisation de la démocratie et de l’amélioration des conditions de vie en travaillant dans les institutions « démocratiques » existantes. C’est la même ligne qui a dominé pendant des décennies et s’est soldée par une faillite manifeste sans qu’aucune leçon n’en soit tirée. Cette perspective corrompt la conscience des travailleurs et des travailleuses en semant l’illusion qu’il est possible d’obtenir la démocratie et d’améliorer la situation sociale sans éliminer le despotisme et la structure de la société capitaliste.
- Les partisans du boycott au motif que le « parlement » et autres « institutions élues » n’ont aucune autorité réelle, ainsi que les lois qui encadrent le processus électoral qui sont entachées de manipulation… Quant à cette perspective, elle fait rater à l’avant-garde de la classe ouvrière l’occasion d’exploiter ces institutions bourgeoises pour une agitation généralisée et la mobilisation de la force des parties arriérées d’entre elle qui croient toujours aux illusions de changer sa situation en utilisant les institutions du régime.
Si un parti ouvrier fidèle à l’intérêt de sa classe existait, il suivrait l’approche consistant à utiliser les élections comme une tribune pour affronter les mensonges de la bourgeoisie et pour éduquer les couches arriérées des travailleurs avec une conscience politique. Et s’il parvient à entrer dans une institution lors des élections, il s’engagera dans la lutte en son sein parallèlement à la lutte ouvrière et populaire dans la rue afin de construire un rapport de force qui permette d’aboutir à la démocratie et de résoudre la question sociale.
Quoi qu’il en soit, les luttes ouvrières et populaires sur le lieu de travail et dans la rue restent le principal levier de toute véritable lutte pour l’émancipation politique et la justice sociale.
L’état réel des organisations de lutte ouvrière aujourd’hui, la faible conscience politique même de la partie organisée de la classe ouvrière, l’intervention de forces avec un projet bourgeois et leur contrôle des organisations de lutte existantes font que la classe ouvrière est isolée de la pratique effective d’une politique de classe. L’ancien secrétaire générale de l’UMT, Mahjoub ben Seddik a-t-il dit un jour : « les ouvriers n’ont rien avoir avec la politique, ils luttent pour du pain ».
Cette situation requiert un travail de conscientisation politique, sur une base de classe, qui confronte la domination des idées de de la classe dirigeante, et élève la conscience des travailleuses et des travailleurs et de leurs organisations de lutte, principalement son propre parti, au niveau de la capacité de boycotter effectivement les institutions de la démocratie bourgeoise, même si elles sont complètes, c’est-à-dire de les remplacer par la démocratie des conseils ouvriers et populaires.
Sur cette voie, nous devons lutter pour une Assemblée constituante élue dotée des pleins pouvoirs pour rédiger une constitution démocratique pour reconstruire le pays sur la base des intérêts de la majorité, et non des intérêts de la minorité despotique qui possède l’économie. La démocratie achevée est en contradiction profonde avec les intérêts des patrons. Elle donne à la classe ouvrière le pouvoir de décider ce qu’elle juge approprié pour sa subsistance : elle choisira le travail permanent au lieu du travail à durée déterminée et des entreprises sous-traitantes, des salaires qui garantissent la dignité plutôt que des salaires qui changent avec la baisse de la productivité de l’ouvrier, et un système de services publics (santé et éducation) gratuit et de qualité au lieu des services payants, c’est-à-dire en dernier ressort, une démocratie dans l’intérêt du travail et non en faveur du capital.
Le courant Al Mounadil-a travaille avec cette vision, pour contribuer à la réalisation des objectifs de souveraineté nationale (se libérer de la dépendance vis-à-vis des forces néocoloniales), de souveraineté populaire (réalisation de la démocratie) et de justice sociale (le renversement du capitalisme).
7 septembre 2021