En mai 1926, acculé, encerclé, trahi par certaines tribus, Mohammed Ben Abdelkrim el-Khattabi se rend aux autorités françaises. Il est exilé à la Réunion. Militairement, la République du Rif est écrasée. Mais cette défaite n’efface pas la puissance symbolique ni les conséquences politiques profondes du conflit.
Le Rif, un exemple de répression coloniale
D’abord, elle dévoile au grand jour la nature barbare de l’impérialisme. Les justifications humanistes de la mission civilisatrice se brisent face aux bombardements chimiques, aux villages rayés de la carte, aux exécutions sommaires. Les méthodes utilisées dans le Rif annoncent les guerres de reconquête à venir. L’État français n’agit pas comme une puissance moderne pacificatrice, mais comme une machine coloniale impitoyable, déterminée à anéantir toute velléité de souveraineté populaire.
Ensuite, la guerre du Rif devient une référence majeure dans les luttes anticoloniales du 20e siècle. Le soulèvement rifain, en alliant combat militaire, propagande populaire, structure étatique et internationalisation du conflit, offre un modèle de résistance. Abdelkrim inspire Ho Chi Minh, les militantEs du FLN, les révolutionnaires africainEs et latino-américainEs. Ce n’est pas seulement un mythe : c’est une expérience stratégique étudiée, transmise, revendiquée.
Au Maroc, le Rif paie un prix terrible. La région est marginalisée, surveillée, économiquement sacrifiée. La mémoire du soulèvement devient un tabou pour le pouvoir chérifien, d’autant plus que la monarchie actuelle s’inscrit dans la continuité de la collaboration des élites marocaines à l’ordre colonial. Le traumatisme est profond : des générations entières héritent d’une histoire de répression, de misère et de résistance silenciée.
Le mouvement du Hirak en 2016
Pourtant, cette mémoire refait surface. En 2016, la région se soulève à nouveau, autour du mouvement du Hirak. Les revendications populaires, justice sociale, fin de la répression, accès aux services publics, s’inscrivent dans le droit fil de l’esprit rifain de 1925. C’est une même dynamique d’émancipation, face à une même structure de domination, aujourd’hui recomposée sous forme de néocolonialisme économique et d’autoritarisme local.
Enfin, la guerre du Rif interroge le présent. Elle nous enseigne que les luttes des peuples ne sont jamais « archaïques » ou « tribales ». Elles peuvent porter des projets politiques radicaux, égalitaires, capables de faire trembler les empires. Elle rappelle que la domination coloniale n’est pas une page tournée, mais une structure toujours vivante dans les inégalités d’aujourd’hui.
À ce titre, la République du Rif est bien plus qu’un épisode oublié. C’est une promesse. Celle d’un monde affranchi des impérialismes, où les peuples organisés peuvent prendre leur destin en main. Et cette promesse, aujourd’hui, reste plus que jamais d’actualité.
Amel