Publié le Samedi 14 février 2009 à 07h53.

Drapeau noir par Uri Avnery le 31 janvier 2009

Je n’ai rien à redire à des procès à l’étranger. L’essentiel est que les criminels de guerre, comme les pirates, soient traduits en justice. Le lieu de leur arrestation importe peu.

Cette règle fut appliquée par l’État d’Israël lorsqu’il enleva Adolf Eichmann en Argentine et le pendit pour des crimes abominables commis hors du territoire d’Israël et, d’ailleurs, avant même que l’État existe. Mais en tant que patriote israélien, je préfèrerais que les Israéliens suspectés de crimes de guerre soient traduits en justice en Israël. C’est nécessaire pour le pays, pour tous les officiers et soldats honnêtes de l’armée israélienne, pour l’éducation des futures générations de citoyens et soldats.

Un juge espagnol a lancé une enquête judiciaire contre sept personnalités politiques et militaires israéliennes sur la présomption de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les faits : le largage en 2002 d’une bombe d’une tonne sur la maison d’un dirigeant du Hamas, Salah Shahade. En plus de la victime visée, 14 personnes, la plupart des enfants, furent tuées.

Pour ceux qui l’ont oublié : on demanda à l’époque au commandant des Forces aériennes israéliennes d’alors, Dan Halutz, ce qu’il ressentait lorsqu’il larguait une bombe d’une tonne sur un immeuble d’habitation. Son inoubliable réponse fut : "Un légère secousse dans l’aile". Quand nous, à Gush Shalom l’accusâmes de crime de guerre, il exigea que nous soyons traduits en justice pour haute trahison. Il fut contacté par le Premier ministre, Ariel Sharon, qui nous accusa de vouloir "livrer des officiers de l’armée israélienne à l’ennemi." Le procureur nous notifia officiellement qu’il n’avait pas l’intention d’ouvrir une enquête contre les responsables du bombardement.

Je serais donc heureux que quelqu’un soit enfin prêt à donner à cette action un caractère judiciaire (même s’il semble avoir été contrarié par des pressions politiques.) Mais je suis désolé que cela survienne en Espagne, pas en Israël.

Les télépsectatuers israéliens ont été récemment soumis à un drôle de spectacle : des officiers de l’armée montrés visage caché, comme c’est l’usage pour les criminels dont le tribunal interdit l’identification. Pédophiles, par exemple, ou agresseurs de vieilles dames.

Sur les ordres des censeurs militaires, ceci s’applique à tous les officiers – à partir du commandant de bataillon – qui ont été impliqués dans la guerre de Gaza. Etant donné que les visages des commandants de brigade et de leurs supérieurs sont généralement connus, l’ordre ne s’applique pas à eux.

Juste après le cessez-le-feu, le ministre de la Défense, Ehoud Barak, fit promulguer une loi spéciale accordant le soutien sans réserve de l’Etat à tous les officiers et soldats ayant participé à la guerre de Gaza et pouvant être accusés à l’étranger de crimes de guerre. Ceci semble confirmer le proverbe hébreu : "Sur la tête du voleur on voit le chapeau brûler".

Je n'ai rien à redire à des procès à l’étranger. L’essentiel est que les criminels de guerre, comme les pirates, soient traduits en justice. Le lieu de leur arrestation importe peu. (Cette règle fut appliquée par l’État d’Israël lorsqu’il enleva Adolf Eichmann en Argentine et le pendit pour des crimes abominables commis hors du territoire d’Israël et, d’ailleurs, avant même que l’État existe).

Mais en tant que patriote israélien, je préfèrerais que les Israéliens suspectés de crimes de guerre soient traduits en justice en Israël. C’est nécessaire pour le pays, pour tous les officiers et soldats honnêtes de l’armée israélienne, pour l’éducation des futures générations de citoyens et soldats.

Il n’est point besoin de se référer uniquement au droit international. Il y a des lois israéliennes contre les crimes de guerre. Il suffit de mentionner la phrase immortelle énoncée par Binyamin Halevy qui fut le juge militaire lors du procès contre les policiers des frontières responsables du massacre à Kafr Kassem en 1956, où des dizaines d’enfants, de femmes et d’hommes furent fauchés pour la violation d’un couvre-feu dont ils n’avaient même pas été informés.

Le juge déclara que même en temps de guerre, il y a des ordres sur lesquels flotte "le drapeau noir de l’illégalité". Ce sont les ordres qui sont "manifestement" illégaux – c’est à dire des ordres que toute personne normale peut considérer comme illégaux, sans consulter un juriste.

Les criminels de guerre déshonorent l’armée dont ils portent l’uniforme – qu’ils soient généraux ou simples soldats. En tant que soldat combattant le jour de la création officielle de l’armée d’Israël, j’ai honte d’eux et je demande qu’ils soient chassés de l’armée et traduits en justice en Israël.

Ma liste de suspects comprend des hommes politiques, des soldats, des rabbins et des juristes.

Il n'y a pas le moindre doute que des crimes de guerre furent commis pendant la guerre de Gaza. La question est celle de leur étendue et par qui ils furent commis.

Un exemple : les soldats mettent en demeure les habitants d’une maison de la quitter. Une femme et ses trois enfants sortent en agitant des mouchoirs blancs. Il est absolument clair que ce ne sont pas des combattants armés. Un soldat qui se tient sur un char proche, les vise avec son fusil et les abat à bout portant. Selon les témoignages apparemment indubitables, ceci s’est produit plus d’une fois.

Autre exemple : le bombardement de l’école des Nations unies pleine de réfugiés, de laquelle il n’y a pas eu de tirs – comme l’armée elle-même le reconnut, après que les prétextes initiaux furent réfutés.

Ceux-ci sont des cas "simples". Mais l’éventail des cas est bien plus large. Une enquête judiciaire sérieuse doit partir du sommet : les hommes politiques et les officiers supérieurs qui décidèrent de la guerre et confirmèrent ses plans doivent être interrogés sur leurs décisions. A Nuremberg il fut établi que le déclenchement d’une guerre d’agression est un crime.

Une enquête objective doit rechercher si la décision de déclencher la guerre était justifiée, ou s’il y avait une autre voie pour mettre fin au lancement de roquettes contre le territoire israélien. Il ne fait aucun doute qu’aucun pays ne peut tolérer des bombardement de ses villes et villages depuis l’autre côté de la frontière. Mais aurait-on pas pu éviter cela en dialoguant avec les autorités de Gaza ? La décision de notre gouvernement de boycotter le Hamas, vainqueur d’élections démocratiques n’était-elle pas la cause réelle de cette guerre ? L’imposition du blocus sur un million et demi d’habitants de la bande de Gaza n’a-t-elle pas contribué au lancement de Qassam ? En bref, des alternatives ont-elles été étudiées avant de décider du déclenchement d’une guerre meurtrière ? ?

Le plan de guerre comprenait une attaque massive de la population civile de la bande de Gaza. C’est moins à partir des déclarations officielles de ses initiateurs qu’à travers leurs actions que l’on peut comprendre les buts réels de cette guerre. Si dans cette guerre, quelque 1.300 hommes, femmes et enfants furent tués, la grande majorité de ceux-ci n’étaient pas des combattants, si 5.000 personnes environ furent blessées, la plupart des enfants, si quelque 2.500 habitations furent partiellement ou totalement détruites ; si les infrastructures vitales furent totalement démolies – il est clair que tout ceci ne pouvait être accidentel et devait faire partie du plan de guerre.

Les choses énoncées durant la guerre par les hommes politiques et les officiers rendent évident le fait que le plan poursuivait au moins deux objectifs qui pourraient être considérés comme des crimes de guerre : (1) Causer des meurtres et des destructions massifs afin de "montrer le prix à payer", de "marquer leur conscience au fer rouge", "de renforcer la dissuasion", et surtout d’amener la population à se lever contre le Hamas et à renverser son gouvernement. Il est évident que ceci touche principalement la population civile. (2) Eviter à tout prix (littéralement) des pertes à notre armée en détruisant tout bâtiment et en tuant tout être humain se trouvant sur le passage de nos troupes, y compris la destruction d’habitations sur la tête de leurs occupants, en empêchant les équipes médicales d’accéder aux victimes, en tuant les gens indistinctement. Dans certains cas, les habitants furent avertis qu’ils devaient fuir, mais ceci était essentiellement une action alibi : il n’y avait nulle part où fuir, et souvent le feu fut ouvert sur des gens qui tentaient de s’échapper.

Un tribunal indépendant devra décider si un tel plan de guerre est conforme au droit national et international ou s’il était ab initio un crime contre l’humanité et un crime de guerre.

C’était une guerre d’une armée régulière dotée de moyens énormes contre une force de guérilla. Dans une telle guerre non plus tout n’est pas acceptable. Des arguments tels que "les terroristes du Hamas étaient cachés dans la population civile" et "ils utilisaient la population comme boucliers humains" peuvent être efficaces comme moyens de propagande mais ne sont pas recevables : ceci étant vrai pour toute guerre de guérilla. Cela doit être pris en compte lorsque la décision de déclencher une telle guerre est envisagée.

Dans un État démocratique, les militaires prennent leurs ordre du politique. Bon. Mais cela n’inclut pas les ordres "manifestement" illégaux, sur lesquels flotte le drapeau noir de l’illégalité. Depuis les procès de Nurenberg, il n’y a plus de place pour l’excuse "je n’ai fait qu’obéir aux ordres".

C’est pourquoi la responsabilité personnelle de toutes les personnes impliquées – depuis le chef d’état-major, le commandant du front et le commandant de division jusqu’au simple soldat – doit être examinée. Selon les déclarations de soldats, on doit déduire que beaucoup croyaient que leur travail consistait à "tuer le plus d’Arabes possible". Ce qui signifie : pas de distinction entre les combattants et les non-combattants. Ceci est un ordre totalement illégal, qu’il soit donné explicitement ou par un clin d’œil. Les soldats le comprenaient comme étant "l’esprit du chef".

Parmi ceux suspectés de crimes de guerre, les rabbins ont une place d’honneur

Ceux qui incitent au crime de guerre et appellent les soldats, directement ou indirectement, à commettre des crimes de guerre, peuvent eux-mêmes être jugés coupables de crimes de guerre.

Quand on parle de "rabbins", on pense à de vieux messieurs avec de longues barbes blanches et de grands chapeaux, qui prononcent des paroles de sagesse vénérable. Mais les rabbins qui accompagnaient les troupes sont d’un type très différent.

Lors des dernières décennies, le système d’éducation religieux financé par l’État a produit en série des "rabbins" plus proche des prêtres chrétiens du Moyen-Age que des sages juifs de Pologne ou du Maroc. Le système endoctrine ses élèves avec un culte tribal violent, totalement ethnocentrique, qui ne voit dans l’ensemble de l’histoire du monde rien d’autre qu’une interminable histoire de victimisation juive. C’est une religion du Peuple élu, indifférente aux autres, une religion sans compassion pour tout être qui n’est pas juif, qui glorifie le génocide ordonné par Dieu comme décrit dans le livre biblique de Josué.

Les produits de cette éducation sont maintenant les "rabbins" qui instruisent les jeunes religieux. Avec leur encouragement, a été entrepris un effort systématique de prise en main de l’armée, de l’intérieur. Des officiers portant la kippa ont remplacé les hommes des Kibboutz, qui dominaient il n’y a pas si longtemps dans l’armée. Beaucoup d’officiers de rang moyen et inférieur appartiennent à présent à ce groupe.

L’exemple le plus frappant est celui du "rabbin en chef de l’armée", le colonel Avichai Ronsky, qui a déclaré que son travail consistait à renforcer "l’esprit combattant" de ses soldats. C’est un homme d’extrême droite, peu éloigné de l’ancien Rabbin Meir Kahane, dont le parti fut déclaré illégal du fait de son idéologie fasciste. Sous les auspices du Rabbinat militaire, des brochures religieuses-fascistes des "rabbins" d’extrême droite furent distribuées aux soldats.

Ce matériel comprend des incitations politiques, telle que l’affirmation que la religion juive interdit "d’abandonner même un millimètre de la terre d’Israël", que les Palestiniens, comme les Philistins de la Bible (dont le nom de Palestine est dérivé) sont un peuple étranger qui envahit le pays, et que tout compromis (tel qu’indiqué dans le programme officiel gouvernemental) est un péché mortel. La distribution de propagande politique viole, bien sûr, le droit militaire.

Les rabbins appelèrent ouvertement les soldats à se montrer cruels et sans pitié envers les Arabes. Les traiter avec compassion, affirmaient-ils, est une "immoralité affreuse et épouvantable". Quand de tels textes sont distribués à des soldats religieux allant en guerre, il est facile de comprendre pourquoi les choses se passèrent comme elles se sont passées.

Les initiateurs de cette guerre savaient que l’ombre de crimes de guerre planait sur l’opération planifiée. Témoin, le procureur général (dont le titre officiel est "conseiller juridique du gouvernement" ) fut un partenaire du plan. Cette semaine le juriste en chef de l’armée, le colonel Avichai Mandelblut, révéla que ses officiers furent en relation tout au long de la guerre avec tous les commandants, du chef d’état major au commandant de division.

Tout cet ensemble conduit à la conclusion inévitable que les conseillers juridiques portent une responsabilité directe des décisions prises et exécutées, depuis le massacre de recrues de la police civile lors de leur remise de diplômes jusqu’au bombardement des installations de l’ONU. Tout avocat ayant pris part aux délibérations qui eurent lieu avant qu’un ordre fut donné est responsable de conséquences de celui-ci, sauf s’il peut prouver qu’il l’avait contesté.

Le juriste en chef de l’armée, qui est supposé donner des conseils professionnels et objectifs à l’armée, parle de "l’ennemi monstrueux" et tente de justifier les actions de l’armée en disant qu’elle combattait contre "un ennemi déchainé, qui déclarait qu’il ’aimait la mort’ et s’abritait derrière les femmes et les enfants". Un tel langage est peut-être compréhensible dans le discours d’encouragement d’un chef combattant ivre de guerre, comme le chef de bataillon qui ordonna à ses soldats de se suicider plutôt que d’être fait prisonnier, mais totalement inacceptable quand il émane de l’officier juriste en chef de l’armée.

Nous devons utiliser toutes les voies judiciaires légales en Israël et appeler à une enquête indépendante et à la mise en examen des auteurs présumés. Nous devons exiger ceci, même si les chances d’y parvenir sont vraiment très minces.

Si ces efforts échouent, personne ne pourra faire d’objection à des procès à l’étranger, soit devant un tribunal international soit devant les tribunaux de ces nations qui respectent les droits de l’homme et le droit international.

Jusqu’alors, le drapeau noir continuera de flotter.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 1er février 2009 – Traduit de l’anglais "Black Flag" pour l’AFPS : ES/SWPHL