Depuis la fin novembre, l’Égypte vit à nouveau une phase d’affrontements politiques intenses, la rue remettant en cause les pouvoirs de son nouveau président. Le 22 novembre, le président égyptien Mohammed Morsi – élu à la mi-juin dernier et issu des Frères musulmans – a rendu public un décret élargissant ses pouvoirs et mettant ses décisions à l’abri des recours en justice.
De la sorte, le président a tenté de casser le blocage potentiel, suite à certaines décisions prises par des juges parfois proches du pouvoir précédent.
Piège institutionnelLe fait pour lui de concentrer entre ses mains les pouvoirs exécutif, législatif et maintenant judiciaire apparaît comme une lourde menace aux yeux de beaucoup d’EgyptienNEs. Au moment où les protestations commençaient à monter, le pouvoir issu des Frères musulmans a mis « à la va-vite » une deuxième décision sur la table. En l’absence de députés libéraux, coptes et de gauche (ayant décidé de boycotter les séances), la majorité islamiste a voté le texte d’une nouvelle Constitution. Et alors que le texte final était sorti le 30 novembre, son adoption devait être extrêmement rapide, en faisant l'objet d'un référendum dès le 15 décembre qui clôturerait ainsi la période des pouvoirs spéciaux du président… Cela ne laissait donc pas le temps pour un débat approfondi.Morsi a ainsi placé ses opposants face à un dilemme : soit ils devaient accepter l’approbation très rapide de la nouvelle Constitution, soit ils devaient admettre le maintien de ses pouvoirs spéciaux. Néanmoins les critiques montaient, portant sur le contenu du texte constitutionnel. Celui-ci donne des satisfactions symboliques aux islamistes, notamment par des références à la Charia. Il maintient, par ailleurs – en tant que gage à l’armée – le secret conservé jusqu’alors sur le budget de la défense. Et il rend toujours possible le jugement de civils devant des tribunaux militaires.
Morsi manœuvreMercredi 5 décembre, des affrontements ont eu lieu autour des bâtiments de la présidence égyptienne, et ont fait sept morts (des deux côtés). Probablement en raison de la présence d’anciens pro-Moubarak dans ses rangs, la police avait auparavant laissé des manifestants accéder jusqu’aux alentours de la présidence. Dimanche 9 décembre, l’armée s'est fait entendre, en demandant aux deux parties en présence « de dialoguer », tout en maintenant l’ordre public. Le même jour, cinq avions de chasse ont survolé le centre du Caire à basse altitude. En réaction à la pression grandissante, le président Morsi a partiellement reculé. Il a abandonné ses nouveaux pouvoirs élargis… tout en maintenant le référendum du 15 décembre. En parallèle, il a annoncé l’abrogation de plusieurs nouvelles taxes pesant sur des produits de première nécessité, afin de tenter de restaurer une popularité entamée. Cette annonce était accompagnée de celle d'augmenter la taxe sur la bière en la triplant. Cela constitue un geste symbolique d’ordre idéologique pour les islamistes.
Sous le contrôle de l'arméeLundi 10 novembre, Morsi a confié à l’armée le soin de « maintenir la sécurité » jusqu’au référendum de samedi prochain, en lui donnant explicitement le pouvoir d’arrêter des civils. Ce geste peut être interprété comme un gage au centre de pouvoir que constitue l’armée, tout en exprimant aussi la méfiance du pouvoir actuel vis-à-vis de la police. Car pendant les affrontements de la semaine dernière, des militants pro-pouvoir avaient parfois eux-mêmes fait leur police, le site internet Assawra évoquant même l’existence de chambres de torture improvisées.Le pouvoir « frériste » doit composer avec l’armée. Celle-ci peut cohabiter avec un exécutif islamiste mais veillera bien à ce que certaines lignes jaunes ne soient pas franchies, notamment qu’on ne touche pas à son pouvoir économique. Selon les sources, les militaires contrôleraient entre 25 % et 40 % de l’économie du pays. En attendant, l’Égypte traversa une période de tension intense, au moins jusqu’à l’après-référendum, voire au-delà si ses résultats sont contestés. Les islamistes n’ont certainement pas dit leur dernier mot. Les opposants, les démocrates, progressistes et les syndicalistes non plus ! À son tour, le FMI presse le pouvoir exécutif de boucler rapidement la constitution pour organiser des élections législatives dans la foulée, ceci afin de pouvoir adopter des « mesures impopulaires, mais économiques nécessaires » juste après. Ce qui ne promet pas des lendemains qui chantent…Bertold du Ryon