Selon des résultats portant sur la quasi-totalité des bureaux de vote, le parti de Vladimir Poutine, Russie Unie, remporterait 49,8 % des suffrages, contre 19,6 % pour le Parti communiste, environ 8 % pour le parti du nationaliste Jirinovski, et environ 6 % pour un « parti des nouvelles personnes » — formations autorisées par le pouvoir et que l’on peut taxer d’ « opposition de Sa Majesté ».
La victoire de Russie Unie1 a été fabriquée par l’élimination préalable de tout challenger, à commencer par Alexeï Navalny2. Depuis son retour dans le pays en janvier dernier, et son immédiate incarcération qui avait donné lieu à des manifestations réprimées, le pouvoir a accumulé les mesures destinées à freiner l’expression de toute opposition, quelle qu’elle soit. Il a dressé une série d’obstacles aux partis et candidats qui s’opposent à lui. Ce qui va de pressions pour les faire renoncer à se présenter, à des affaires judiciaires montées contre les plus récalcitrants, ou des mesures administratives sous prétexte d’extrémisme.
Pressions multiples
Une loi, adoptée en 2001, remodelée le 1er septembre 2021, permettant de priver pour cinq ans du droit d’être élu tout citoyen russe, semble avoir eu son effet : selon Golos (la Voix), mouvement de défense des droits des électeurEs, 9,1 millions de personnes auraient ainsi été privées d’éligibilité, soit 8 % des électeurEs (sur 110,3 millions enregistrés au 1er janvier 2021).
Le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, et sa clique, ont aussi bloqué les sites internet ayant proposé des tactiques pour contrer son parti. En particulier ceux qui ont répondu à l’appel de Navalny à voter « de façon intelligente », c’est-à-dire pour le candidat le mieux placé face à Russie Unie, en l’occurrence le PCR (Parti communiste de Russie) dont les scores sont passés de 13,3 % en 2016 à près de 20 %. Les amis de Poutine sont allés jusqu’à présenter des candidats portant le même nom que ceux de représentants d’autres partis, en comptant sur la confusion qui pouvait en résulter. À quoi il faut ajouter la pratique d’interventions directes mais « modérées » pour rester crédibles : observateurs menacés, écartés ou arrêtés, bourrages des urnes, votes multiples, vote massif des casernes… et la nouveauté des votes électroniques (que l’on peut changer le jour suivant) et des votes à domicile (le covid a bon dos) !
Tout ça pour ça ?
Ces combines d’un pouvoir corrompu pour garder les rênes lui assureront la majorité des deux tiers à la Douma. Mais pas si brillamment. Au troisième jour de vote, la participation électorale officielle (donc probablement truquée) n’était que de 45,20 %. Même pas la moitié de l’électorat. La population n’a effectivement aucune confiance dans ce régime qui s’en prend à son niveau de vie (déjà pas très élevé mais sérieusement menacé par l’inflation), aux retraites (dont la défense avait suscité une large mobilisation en 2018), à sa santé (avec une gestion désastreuse du covid, du fait d’un système de santé russe laissé à l’abandon).
La chape de plomb de la dictature pèse lourd sur les oppriméEs et les exploitéEs de l’immense Russie, toute opposition dont celle d’extrême gauche est traquée. Les informations qui percent indiquent pourtant que le pouvoir craint les explosions de colère et les possibles mobilisations populaires, que l’époque est révolue où il pouvait espérer étouffer le mécontentement sous une victoire factice comme l’annexion de la Crimée.
- 1. Les élections ont concerné principalement les députés à la Douma (Parlement), formée de 450 députés élus pour cinq ans. La moitié des sièges est attribuée à la proportionnelle, sur scrutin de listes, l’autre moitié sur scrutin majoritaire uninominal. Russie Unie arrivant en tête dans près de 200 circonscriptions semble en passe de conserver sa majorité des deux tiers au Parlement. L’élection est validée quel que soit le niveau de participation.
- 2. Navalny fait figure d’opposant irréductible à Poutine, sa résistance qui lui vaut la prison et les menaces de mort impose l’estime. Il dit lutter contre la corruption mais n’en est pas moins un politicien de droite très nationaliste, qui s’est illustré dans le passé par des campagnes anti-migrants.