Cinq longues semaines après le coup d’Etat du 1er février, le vaste mouvement de désobéissance civile se poursuit en Birmanie, malgré le durcissement de la répression. La solidarité avec la résistance birmane s’affirme, la junte doit être isolée sur le plan international.
La résistance populaire est beaucoup plus massive et résiliente que l’armée ne l’avait prévu. Le fonctionnement de l’administration est grippé par l’entrée massive en grève de fonctionnaires. Le système bancaire est à l’arrêt. Le représentant du pays à l’ONU dénonce le coup d’État alors qu’il avait été choisi avec l’aval des militaires, ainsi que de nombreux diplomates. Quelque 600 policiers ont fait défection, certains trouvant refuge en Inde. De grands entrepreneurs s’inquiètent des conséquences économiques du putsch. L’Union européenne suspend officiellement l’aide qui pourrait bénéficier à l’armée. Le président Biden bloque le transfert d’un milliard de dollars de la Banque de la Réserve fédérale de New York vers la Banque centrale du Myanmar. De par sa puissance, le mouvement de désobéissance civile interdit la normalisation rapide du régime tant sur le plan intérieur qu’international.
Autodéfense des quartiers et villages
Face à la répression (plus de 50 personnes tuées, quelque 1750 détenuEs), la résistance organise une autodéfense non armée des quartiers et villages, pour enrayer les déplacements militaires. Les activistes connus entrent en clandestinité. Les contacts sont renforcés avec l’émigration birmane et les mouvements de solidarité dans les pays limitrophes (essentiellement la Thaïlande). Le Mouvement de désobéissance civile (MDC) constitue le premier cadre de coopération entre, notamment, la génération Z (la jeunesse scolarisée), la fédération syndicale CTUM qui a appelé le 8 février à la grève générale, des comités populaires locaux. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, qui avait emporté haut la main les élections de novembre 2020, a reconstitué un gouvernement qui demande à être reconnu par l’ONU. Enfin, un « Comité de grève générale des nationalités », représentant plus de 24 groupes, avait été fondé le 11 février. La moitié des organisations armées ethniques ont menacé la junte de ripostes en cas d’attaque par l’armée ou la police des manifestantEs du MDC sur leur territoire, sans pour autant soutenir Suu Kyi et la LND. L’État Karen en particulier, dans l’est du pays, s’est engagé à protéger et à nourrir tout membre des forces armées se rangeant aux côtés du Mouvement de désobéissance civile.
L’armée espère épuiser la résistance
Aucune défection, cependant, n’est signalée du côté de l’armée. Elle forme un corps très homogène où les familles de soldats vivent en circuit fermé. Elle constitue un pouvoir qui double, de haut en bas, l’administration civile et use, à chaque niveau, de sa capacité d’influence sur la société. Contrôlant deux grands conglomérats ainsi que le trafic de pierres précieuses ou de bois, « l’économie kaki » est un capitalisme de clientèle, à même de coopter jusqu’à des figures de l’opposition bamar (l’ethnie majoritaire vivant dans le delta de l’Irrawaddy). Un bras de fer est engagé pour se rallier les représentants de minorités ethniques. Les militaires ont les moyens de mettre en œuvre la politique universelle du « diviser pour régner ». Ils peuvent aussi organiser le chaos, la disette, et en faire porter la responsabilité à la résistance. En combinant terreur, corruption et appauvrissement d’une population déjà durement frappée par le Covid, ils espèrent épuiser la résistance.
Cette dernière reçoit cependant une aide précieuse. Des millions de kyats (la monnaie locale) ont été envoyés de Thaïlande où se trouvent 70% des travailleurEs immigrés birmans. L’appel au boycott international des produits de l’économie kaki s’organise, grâce à des plateformes internet. La responsabilité des entreprises étrangères équipant les forces de répression de la junte, comme en cybersécurité, est dénoncée.
En matière d’investissements et de commerce, l’insertion de l’économie birmane est avant tout régionale : Singapour, la Chine, la Thaïlande, l’Inde… Cependant, quelques multinationales occidentales jouent un rôle majeur. C’est, notamment, le cas du secteur pétrolier avec Chevron (États-Unis) et le français Total qui déclare avoir payé près de 230 millions d’euros en 2019 de taxes et actions au gouvernement birman. C’est au peuple birman que Total doit aujourd’hui rendre des comptes.