Entre le 3 et le 12 octobre, et ce, 527 ans après l’invasion espagnole en Amérique, des barricades ont brûlé dans toutes les régions de l’Équateur. Les principales artères ont été bloquées, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues et ont occupé temporairement le bâtiment du Parlement ainsi que plusieurs préfectures. Extraits de « Équateur : victoire historique des mouvements indigènes et populaires », en ligne sur Contretemps-web.
Le bâtiment du contrôleur de l’État a été incendié. Pendant plusieurs jours, trois des plus importants gisements de pétrole d’Amazonie ont été paralysés, frappant l’État à son point le plus vulnérable. Alors que les chauffeurs de taxi et les travailleurs du secteur des transports avaient à peine commencé les manifestations, puis ont vite renoncé, le mouvement indigène a commencé à mener le mouvement de protestation avec les syndicats. Ils ont reçu un soutien important de la part des étudiantEs, d’organisations de femmes, de citadinEs pauvres et des classes moyennes. La capitale Quito et les paysans des provinces environnantes ont rétabli une tradition de solidarité qui avait déjà soutenu les manifestations indigènes dans les années 1990 : avec des dons de nourriture, de couvertures, de vêtements chauds et de médicaments. Les familles préparaient les repas chez eux et les amenaient aux endroits où les manifestantEs campaient. Les tôliers ont même fabriqué des boucliers pour les manifestantEs, confrontés à de lourdes attaques de la part de la police et de l’armée.
Protestations massives et émeutes
Le gouvernement a rapidement déclaré le pays en état d’urgence, ce qui a amené des milliers de militaires et du matériel lourd dans les rues. En réponse, et s’appuyant sur le principe constitutionnel de la plurinationalité, la confédération autochtone CONAIE a également déclaré l’état d’urgence sur ses territoires. La confédération a annoncé que les policiers et les soldats qui seraient entrés dans ses territoires sans autorisation seraient arrêtés. Cela s’est produit rapidement à plusieurs reprises, par exemple dans la province de Chimborazo dans les Andes, où près de 50 personnes en uniforme ont été retenues pendant plusieurs jours.
Les plus grandes manifestations, pouvant rassembler jusqu’à 40 000 personnes, ont eu lieu dans la capitale, Quito. Des dizaines de milliers d’indigènes et de paysans de toutes les régions du pays sont venus en camion et se sont installés dans le centre du Parque el Arbolito et dans les universités environnantes. Le mouvement indigène a appelé à une protestation massive mais pacifique ; les marches ont été accompagnées d’émeutes violentes, principalement constituées d’étudiantEs, de jeunes citadins et de partisans de l’ancien président Rafael Correa, vis-à-vis desquels les dirigeants indigènes ont clairement pris leurs distances.
Dans la nuit du dimanche 14 octobre, le gouvernement a finalement entamé le dialogue dans les conditions exigées par le mouvement autochtone : diffusion publique afin d’assurer une transparence maximale, acceptation de la présence de médias communautaires et protection de la sécurité des dirigeants sociaux impliqués. Avec la médiation des Nations unies et de l’Église catholique, le gouvernement a finalement accepté d’annuler le décret 883, qui avait provoqué le soulèvement.
« L’Indien est pauvre par nature »
La victoire historique du soulèvement d’octobre marque la reprise du mouvement indigène après douze ans de représailles et de répression par l’ancien président Rafael Correa. Mais en parallèle, les réseaux sociaux montrent une explosion de commentaires ouvertement racistes et classistes. Pendant les manifestations, on a vu des classes moyennes supérieures patrouiller avec des armes devant leurs communautés gardées et encerclées par des barrières. Cette polarisation politique constitue un défi de taille dans un pays qui subit encore les effets de la victoire électorale de Jair Bolsonaro au Brésil.
Le soulèvement d’octobre a fortement mis en évidence les problèmes de classe, d’inégalité et de politique d’appauvrissement systématique. Alors que, pour le mestizo mainstream et les médias, « l’Indien est pauvre par nature », comme le critique l’avocate kichwa Verónica Yuquilema, le combat consiste à mettre fin à ces politiques de drainage colonial aux niveaux national et international. Les autochtones sont toujours décrits comme des « obstacles au progrès et à la modernisation », une image que Rafael Correa a lui-même fortement soulignée au cours de ses douze années de règne, tout en réclamant que leurs modes de vie, leurs savoirs, leurs formes d’organisation et de vie politique soient enfin acquis, reconnus et jugés dignes : « Nous sommes l’État, mais nous ne sommes pas pris en compte. Ils disent que les peuples autochtones et les agriculteurs sont pauvres. Nous travaillons, cultivons, nous nourrissons les villes, mais nous sommes néanmoins traités comme des pauvres », a déclaré le dirigeant amazonien Mirian Cisneros lors du dialogue public. La déclaration constitutionnelle de l’Équateur en tant que pays plurinational a encore beaucoup à faire pour se concrétiser efficacement.
Miriam Lang
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